Contexte et problématique: Depuis une dizaine d'années, de nombreuses organisations, à vocation publique et pour les usages citoyens, se développent dans le secteur des Technologies de l'Information et de la Communication au Sénégal. Leurs missions consistent notamment à traduire sur le terrain les politiques publiques définies par l'Etat, dans le cadre des politiques de développement, dans les pays d'Afrique, de la «Société de l'Information ». Ce phénomène social pose la question du développement dans ces pays du numérique, des modes de coordination dans le travail, des nouvelles formes de médiation via la technique. Il interroge les chercheurs qui construisent de nouveaux objets d'études, surtout en Sciences de l'Information et de la Communication, objets d'études qui sont orientés vers des directions de recherche marquées sous le sceau de l'interdisciplinarité.
Face à cette nouvelle situation, nous nous proposons de centrer notre analyse sur les nouvelles formes organisationnelles et les défis sociétaux liés aux normes, qui sont sous-jacents. Il s'agira d'étudier les formes émergentes d'organisation, en rapport avec la technologie et la problématique de la régulation, qui caractérisent aujourd'hui un secteur public traversé par des recompositions dans ses modes de fonctionnement et dans l'offre citoyenne en matière d'usages des technologies. Autrement reformulé, l'on partira sur l'hypothèse selon laquelle, les organisations relevant de l'Etat, dans un environnement mouvant et dans un marché ouvert, se reconfigurent sans cesse et engendrent de nouvelles façons de faire tout en sécrétant de nombreuses dispositions dont l'application pose souvent problème, tant au plan social, qu'anthropologique.
Objet: Afin d'atteindre notre objectif, nous prendrons comme objet d'analyse deux cas d'études : l'Agence de l'Informatique de l'Etat (ADIE) et l'Agence de Régulation des Télécommunications et de la Poste (ARTP). Notre choix, loin d'être hasardeux, s'explique selon plusieurs critères. La première agence, chargée de mener et de promouvoir, en relation avec les différents services de l'administration sénégalaise, toutes les actions pour doter cette dernière d'un dispositif technique dans le cadre de la décentralisation et de l'accès à l'information, nous plonge dans les nouvelles pratiques et les nouvelles formes organisationnelles liées aux TIC. La seconde, en se chargeant, de la mise en place d'un cadre réglementaire efficace et transparent pour le secteur des télécommunication, nous permettra d'interroger la question des normes, leurs sources, leurs interprétations, leur diversités, leurs applications.
Socle théorique: En nous situant en Sciences de l'Information et de la Communication, nous essaierons de nous positionner dans une interdisciplinarité au regard du caractère composite de notre objet d'étude. Ainsi, l'on partira du constat selon lequel l'informatisation pourrait s'avérer, pour les usagers au Sénégal, à la fois comme une conformité et comme une contrainte. Les deux organisations, dans leur fonctionnement, ont bien conscience des difficultés des populations à s'approprier la technique, et usent de la médiation pour tenter d'apporter quelque chose aux utilisateurs. D'après Françoise Bernard (2000), c'est cette notion de médiation qui permet, à juste titre, de transcender la logique qui oppose sujet et objet, individu et organisation ou encore technique et social. Elle pemet de penser la triade « individu-technique-organisation en convoquant des dynamiques interindividuelles multidirectionnelles.» (Bernard, 2000, 36).
De même, pour mieux interpréter les nouvelles logiques liées au processus et au désir de rationalisation, en plus des formes émergentes, il nous revient en tant que chercheur d'être dans une perspective de compréhension des organisations issue des Approches Communicationnelles des Organisation : se situer dans un « processus de communication qui les traversent et les structurent (...) [de] comprendre les organisations par la communication » (Bouillon, Bourdin, Loneux 2007).
Concernant, l'agence de la régulation, la question de la structuration (Giddens, 1987, Mayère, 2003) se pose avec acuité. De même, l'on ne pourrait partir d'un secteur aussi complexe sans faire référence aux conventions. Dès lors, nous ferons un détour par la théorie des conventions (Boltanski, Thévenot, 1991), qui nous permettra de mieux expliciter les problèmes soulevés dans le cadre des normes « imposées » par les institutions internationales.
Dans cette même perspective, la mise en place des normes, leur identification et la lecture que les acteurs se font d'elles, rappellent qu'elles ne sont pas définitives et qu'elles traversent les négociations (Le Moënne, 2005). Et en posant un regard communicationnel, pour faire le lien entre cette organisation et la société sénégalaise, l'on pourrait mieux saisir l'évolution des systèmes normatifs et leur compréhension (Loneux, 2012)
Méthodologie: Dans le premier exemple d'objet d'analyse, nous partons de l'étude des TIC, pour découvrir les nouvelles formes émergentes dans les usages. D'ailleurs Jacques Perriault parlera de l'étude des usages des TIC, non pas comme d'une sociologie ou d'une discipline, mais comme « une préoccupation » (Perriault, 2008). En effet, les Technologies de l'Information et de la Communication, par leur diversification croissante, constituent un défi pour les acteurs de cette organisation, tant dans le champ des sociabilités qu'au niveau de leur mode de travail. En outre, la possibilité, engendrée par le web social, redéfinit les attributs des acteurs et s'étudie comme ayant cette capacité à faire perpétuellement émerger du nouveau. Notre analyse, des usages sur les plateformes dédiées aux citoyens sénégalais par cette agence entre dans ce cadre.
En se situant toujours dans les Sciences de l'Information et de la Communication, l'on essaiera d'avoir recours aux traces pour appréhender les mutations de cette organisation. Elles sont importantes en Sciences Humaines et Sociales et constituent une mine d'informations pour l'analyse et la compréhension de certains phénomènes que les méthodes quantitatives ne permettent pas de saisir. Nous empruntons la pensée de Paul Ricœur pour affirmer que la trace représente une combinaison entre un témoignage et un indice (Ricoeur, 2000). Notre compréhension de ce terme de « trace » va donc dépasser la simple écriture même si elle sera la plus privilégiée (rapports, conventions, lois, résolutions). Nous pensons qu'elle peut revêtir plusieurs formes. Elle sera à chaque fois contextualisée afin de mieux mettre en évidence les réalités qui sont derrière sont apparition et le sens qu'elle recouvre de manière implicite ou explicite (Le Moënne, 2006).
Plan de la Communication :
Introduction
A : l'Agence de l'Informatique de l'Etat : analyse de l'émergence de nouvelles formes organisationnelles
1) Les usages des TIC par l'administration : entre continuité et rupture des formes
2) L'objectif de l'é-gouvernance au Sénégal et les logiques processuelles
3) De nouvelles formes de rationalisation
B : L'Agence de Régulation des Télécommunications et de la Poste : une approche du défi de la régulation
1) Les fluctuations de l'Agence de Régulations des Télécommunications et de la Poste : approche d'un changement organisationnel
2) La régulation du secteur des télécommunications : l'ambiguïté des normes et des procédures
Conclusion
- Présentation