Penser les techniques et les technologies : Apports des Sciences de l'Information et de la Communication et perspectives de recherches
4-6 juin 2014 Toulon (France)

Actes - Consultation par auteur > Férezin Elodie

Les blogs et leurs usages politiques : est-ce que l'usage des Tic, et notamment celui du blog en politique, contribue à transformer le processus de formation de l'opinion publique ?
Elodie Férezin  1@  
1 : Centre d'Etude et de Recherche Travail Organisation Pouvoir  (CERTOP)  -  Site web
CNRS : UMR5044, Université Toulouse le Mirail - Toulouse II, Université Paul Sabatier - Toulouse III
5 Allée Antonio Machado 31058 TOULOUSE CEDEX 1 -  France

Introduction

 

Cet article s'inscrit dans le cadre d'une recherche doctorale en cours dont l'attention se tourne vers les liens entre démocratie écologique et aménagement du territoire. L'étude de cas porte sur le projet de ligne ferroviaire à grande vitesse Bordeaux-Toulouse. Un tel projet d'infrastructure, en raison de son fort impact environnemental a fait l'objet d'une procédure de débat public en 2005 permettant de confirmer par le maitre d'ouvrage, Réseau Ferré de France (RFF) l'opportunité du projet. Dès 2009, l'Etat et RFF mettent en place un dispositif de concertation visant à l'élaboration du tracé avec les collectivités locales et les riverains concernés. C'est à ce moment là qu'éclate, dans l'Agenais, territoire traversé par la LGV, une forte contestation concernant l'opportunité du projet.

 

Problématique

 

Afin de saisir comment la participation du public vient façonner un projet d'une telle envergure, il n'est pas possible d'analyser seulement le moment du débat public. Dans son modèle de la théorie délibérative, Habermas défend l'idée d'un « agir communicationnel »[1] qui prend place au sein de la société civile. Il accorde une importance aux procédures formelles du débat institutionnalisé comme cadre nécessaire à l'échange d'arguments et à la construction légitime de la volonté collective. Toutefois, l'approche habermassienne nous invite à élargir « les fondements du processus démocratique en conférant une place essentielle à la formation de l'opinion publique telle qu'elle se construit dans l'espace public autonome»[2]. Autrement dit, dans cette perspective, le débat public institutionnalisé constitue un des espaces privilégiés au sein duquel se construit une opinion collective, mais c'est en mettant au cœur de l'analyse le processus de formation de l'opinion publique qu'il devient alors possible de saisir ces autres espaces de débat. En ce sens, le développement d'Internet, et notamment l'utilisation du blog, entraîne une démultiplication de ces espaces possibles de mise en discussion ou en débat d'une thématique. Comme le souligne M-G. Suraud, « la prise en compte de l'agir civique, en amont et en aval d'une participation institutionnalisée à la vie politique représente une clé pour l'analyse des expériences participatives »[3].

 

Ainsi, en suivant comme fil conducteur le projet de ligne à grande vitesse Bordeaux-Toulouse dans l'espace public local, il apparaît que les enjeux autour de cette infrastructure soient exposés et débattus au sein de plusieurs blogs tenus par des Agenais. L'objectif de cet article est donc de montrer, en quoi le développement du blog en politique participe, par hypothèse, au processus de formation de l'opinion publique. En effet, le blog, en tant que point de vue sur la vie politique et publique nous permet de saisir quels sont les arguments échangés, comment ils sont justifiés et comment ils font sens pour ceux qui les énoncent.

Dans cette perspective, je m'appuierais sur le concept de « médiation politique »[4] définie comme lien entre l'individu et le collectif. Comme le souligne J. Jouët, « la médiation est à la fois technique car l'outil utilisé structure la pratique mais est aussi sociale car les mobiles, les formes d'usage et le sens accordé à la pratique se ressourcent dans le corps social. »[5] Effectivement, dans le cadre de l'usage du blog politique, l'information devient elle-même un produit de la technique, en même temps que sa diffusion vise à produire du sens, à générer de nouvelles visions du monde et donc à légitimer de nouvelles pratiques, voire des décisions politiques.

Le blog, par le contenu qui est déposé puis commenté constitue un espace de formation de l'opinion public. L'analyse que je propose de développer ici porte sur les articles concernant la création de la LGV dans l'Agenais publiés par quatre blogueurs (trois élus et un citoyen). Dans le cadre de la LGV, l'opportunité du projet est toujours débattue dans l'espace public local, bien que pour le maître d'ouvrage, cette question est tranchée. Or tant que l'enquête d'utilité publique n'aura pas eu lieu (prévue en juin 2014), le débat sur l'intérêt général de ce projet bat son plein. Comme le souligne C. Ollivier-Yaniv Caroline, « la communication publique est généralement présentée comme une réponse à un impératif de publicité (au sens kantien de diffusion d'information sur les questions d'intérêt général) et de proximité, voire de transparence, de la part des institutions publiques ». Cet aspect de promotion de « l'intérêt général » est une des composantes fondamentales des communications parues dans les blogs analysés. Mais c'est justement cette notion d'intérêt général qui est mis à mal. Les enjeux d'un blog à l'autre semblent alors s'opposer. D'une part il s'agit d'une communication publique visant à fixer « mes cadres et les normes des discours et des comportements », autrement dit définir ce qui relève de l'intérêt général ou non. Et d'autre part, il va s'agir de mettre à mal les cadres de l'intérêt général comme formulés par les autorités locales et de favoriser l'ouverture d'espaces permettant « la construction concurrentielle de l'intérêt général »[6]. Ainsi, dans un contexte de remise en question de l'opportunité du projet, les auteurs du blog sont alors amenés à se positionner sur le sujet et à se justifier.

 

Bibliographie

 

- Bautier Roger, « L'histoire des moyens de communication dans l'espace public » in Sciences de l'information et de la communication. Objets, savoirs, disciplines, sous la direction de Stéphane Olivesi.

- Barbier Rémi et Larrue Corrine, « Démocratie environnementale et territoires : un bilan d'étape », De Boeck Supérieur in Participations 2011/1 - N° 1 – p.67 à 104

- Bourg Dominique et Whiteside Kerry, Vers une démocratie écologique. Le citoyen, le savant et le politique, 2010, la République des Idées, éditions Seuil

- Côté Gilles et Gagnon Christiane, « Gouvernance environnementale et participation citoyenne : pratique ou utopie ? Le cas de l'implantation du mégaprojet industriel Alcan (Alma), dans Nouvelles pratiques sociales, vol.18, n°1, 2005, p. 57-72

- Fourniau J-M., « L'expérience démocratique des « citoyens en tant que riverains » dans les conflits d'aménagement », dans Revue européenne des sciences sociales, 2007.

- Gadras Simon, « La médiation politique comme cadre d'analyse de l'évolution des pratiques de communication au sein de l'espace public local », Les enjeux de l'information et de la communication – dossier 2010, p 12 à 25.

- Habermas Jürgen, Théorie de l'agir communicationnel. Tome 1. Rationalité de l'agir et rationalisation de la société, 1987, Fayard. L'espace du politique

- Habermas Jürgen, Droit et Démocratie, 1997, Paris, Gallimard

- Jouët Josiane, « Retour critique sur la sociologie des usages », Réseaux, n°100. P.487-521, 2000

- Manin Bernard, « Volonté générale ou délibération. Esquisse d'une théorie de la délibération », Le débat, 1985, n°33, p.72-93

- Ollivier-Yaniv Caroline, « La communication publique. Communication d'intérêt général et exercice du pouvoir » in Sciences de l'information et de la communication. Objets, savoirs, disciplines, sous la direction de Stéphane Olivesi.

- Suraud Marie-Gabrielle, « L'espace public des risques. Concertation et communication », Revue Française des Sciences de l'information et de la communication, Septembre 2013


[1] Habermas J., Théorie de l'agir communicationnel. Tome 1. Rationalité de l'agir et rationalisation de la société, 2007, Fayard. L'espace du politique

[2] Suraud MG, « L'espace public des risques. Concertation et communication », Revue Française des Sciences de l'information et de la communication, Septembre 2013

[3] Idem

[4] Gadras Simon, « La médiation politique comme cadre d'analyse de l'évolution des pratiques de communication au sein de l'espace public local », Les enjeux de l'information et de la communication – dossier 2010, p 12 à 25

[5] Jouët Josiane, « Retour critique sur la sociologie des usages », Réseaux, n°100. P.487-521, 2000

[6] Fourniau J-M., « L'expérience démocratique des « citoyens en tant que riverains » dans les conflits d'aménagement », dans Revue européenne des sciences sociales, 2007.



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