Les musées sont contraints d'évoluer dans l'offre de contenus et dans la relation qu'ils entretiennent avec le public. Les raisons sont nombreuses qui expliquent cette évolution. Parmi elles, on trouve la concurrence des parcs de loisirs et leur accès simplifié ludique et sensoriel à l'histoire et aux cultures (Ex. : Parc Astérix) et la diminution des financements publics et privées qui obligent les musées à atteindre un niveau de fréquentation suffisant pour pérenniser leur existence (Schall, Davallon, Vilatte : 2006).
Le développement de l'art contemporain est également un facteur d'évolution puisque au-delà de la légitimation des œuvres, il diffuse un type de relation à l'œuvre moins contemplatif et plus participatif et interactif (Fourmentraux, 2007 ; Chabert et Bouillot, 2010). Enfin, la multiplication de l'offre socio-technique de nouvelles technologies de la communication en dehors du monde muséal (écrans tactiles ; dispositifs interactifs ; mondes immersifs) incite les musées à proposer davantage des œuvres et des objets numériques mais aussi des modes d'exposition technologiques de contenus non numériques (ex. : bornes interactives avec capteurs sensoriels).
Dans ce contexte de demande accrue des responsables muséaux, Museomix s'est constitué en tant que groupe de personnes intéressés par des musées plus évolutifs et en tant que méthode participative pour proposer en un temps très courts des prototypes muséaux innovants. Parmi les « missions » de Musomix (www.museomix.org/a-propos/), il est à retenir celui-ci : « Diffuser librement. Nous diffusons les projets, les technologies, et les contenus qui font avancer la vision d'un musée ouvert, vivant et en réseau. Nous favorisons pour cela les licences libres et ouvertes. » Les concepteurs de cette méthode sont manifestement inspirés par les principes des laboratoires d'usage.
A partir des premières applications de Museomix dès 2012 de la méthode Museomix, un musée français a décidé de l'appliquer à sa propre structure en novembre 2013.
L'objectif premier pour le Musée est qu'à l'issue de l'opération Museomix, des propositions sous forme prototypique puissent être retenues, financées et développées pour de nouvelles formes d'accès aux œuvres et aux objets du Musée. L'attractivité de ces nouveaux dispositifs doit être forte dans le but de conforter à différents niveaux la relation entre le(s) public(s) et ce Musée. “Comment repenser les relations au public, attirer de nouveaux publics, réinventer et vivre autrement le musée, jouer de nouveaux scénarios de visite” ? Ainsi ont été exprimées les questions en ouverture de l'expérimentation par le conservateur du musée.
Museomix est aussi une opération interne d'envergure au Musée qui mérite d'être évaluée dans la relation entre le Musée et les « Museomixeurs », du fait de son importance en termes de ressources humaines et matérielles mobilisées avant, pendant et après la période concentrée en novembre 2013. C'est pourquoi la tutelle de ce musée et le musée ont souhaité que se mette en place une évaluation de l'opération. Plusieurs équipes universitaires ont accepté d'y participer. L'équipe concernée ici a choisi d'exclure l'évaluation des personnels du Musée et d'insister sur l'évaluation des publics par rapports aux objectifs initiaux affichés et face aux premières versions des prototypes. L'évaluation des museomixers est également intéressante pour tenter de saisir au mieux les mécanismes qui amènent l'élaboration de prototypes avec les cibles correspondantes.
L'équipe de chercheurs a emprunté à l'anthropologie visuelle (Ribeiro, Bairon : 2007 ; Pink : 2003) en complémentarité à d'autres méthodes (Ex. : entretien semi-directif), (Vidal, 2012). Les méthodes visuelles privilégiées par ce groupe de chercheurs impliquent sur place des personnes en nombre capables avec des caméras et d'être acceptée par les museomixers, l'équipe du Musée, les membres Museomix et le public sans perturber ces derniers, tout en favorisant une expression « spontanée » intéressante à conserver puis à analyser. La totalité d'une promotion de 16 étudiants de Master se sont rendu disponibles pour faire le déplacement au Musée et s'immerger dans le groupe de plus de cent personnes pendant les quatre jours de l'opération. Avec caméras et micros, ils ont su être identifiés différemment des personnes chargées de la communication interne (studio interne de télévision et alimentation en images du média social Twitter) et de la communication externe (France 3).
Le caractère visuel ne se limite à la constitution de données visuelles demandant plusieurs centaines d'heures de dérushage de 96 heures d'images animées. Le choix d'un rendu visuel et hypermédia est aussi voulu par les responsables de l'équipe, ce qui implique un important travail de maquettage hypermédia et d'interactivité d'un site web dédié à cette évaluation. Les commanditaires de l'évaluation sont donc appelés à visionner de courts extraits vidéo avec des textes d'accompagnement au lieu de la lecture linéaire d'un rapport écrit.
Tout comme Museomix est intéressé par le caractère évolutif et innovant de sa démarche, l'équipe de recherche revendique le caractère réflexif et évolutif de la méthode d'évaluation. L'équipe apporte des éléments de réponses en images à ces questions posées par les partenaires du musée, en particulier sur les perceptions par les publics des propositions interactives pensées et fabriquées en trois jours par les équipes de muséomixeurs.
La captation d'images effectuée durant toute l'expérimentation Muséomix livre des bouts de réponses à ces questions et permet d'évaluer, par une médiation visuelle et sensorielle (liée à la présence de la caméra) (MacDougall, 2006 ; Pink, 2009), une partie de l'expérience vécue par les publics visiteurs. Cette méthodologie originale en anthropologie visuelle et hypermédia, déjà expérimentée par le passé par les chercheurs, livre aujourd'hui des résultats qui d'eux-mêmes évoquent les pratiques et permettent une immersion à la fois dans les trois jours Muséomix et les dispositifs créés.
Les thématiques d'évaluation dégagées atteignent la trentaine dont deux tiers concernent directement les museomixers (Ex. : Sentiment d'intégration (équipe et communauté) et un tiers le public (Ex. : Expérience émotionnelle, Montpetit 2003). En fin d'analyse, l'ambition de l'équipe de recherche est de pouvoir caractériser les propositions prototypiques de médiation dans plusieurs dimensions, dont la créativité et l'interactivité. Les propositions s'inscrivent-elles dans un nouveau modèle de relation entre le musée et les publics ? Enfin, au-delà de la fonctionnalité de l'évaluation, ce travail est l'occasion d'interroger en termes méthodologiques une pratique de recherche (recherche-action ?) au sein des sciences de l'information et de la communication.
Références
Céline Schall, Jean Davallon , Jean-Christophe Vilatte, « The museum, the guided tour and visitors seeking a leisure activity », pp. 65-69 in Proceedings of XIXth Congress of International association of empirical aesthetics / sous la direction d'Hana Gottesdiener & Jean-Christophe Vilatte, 29 août-1er sept 2006, université d'Avignon
Ghislaine Chabert, Daniel Bouillot, Du réel au virtuel : la place de l'oeuvre numérique dans un espace d'exposition, Culture et Musées, n°15, juin 2010
Jean-Paul Fourmentraux, in Imad Saleh, Djeff Regottaz, Interfaces Numériques, Hermes & Lavoisier, Paris, 2007, p 19-35
David Macdougall, The corporeal image : Film, Ethnography, and the Senses, New Jersey : Princeton University Press, 2006
Raymond Montpetit, L'exposition : un geste envers des visiteurs, Médiamorphoses, 9, 2003
Sarah Pink, “Interdisciplinary agendas in visual research: re-situating, visual anthropology”, Visual Studies, Vol. 18, No. 2, 2003, pp 179-192
Sarah Pink, Doing sensory ethnography, Sage, 2009
José Da Silva Ribeiro, Sergio Bairon, Antropologia Visual e Hipermedia, Ediçoes Afrontamento, Porto, 2007
Geneviève Vidal (dir), La sociologie des usages, continuités et transformations, Traité des Sciences et Techniques de l'information, Hermès, 2012