Penser les techniques et les technologies : Apports des Sciences de l'Information et de la Communication et perspectives de recherches
4-6 juin 2014 Toulon (France)
Vendredi 6
Société
TIC, réseaux, nouvelles formes de sociabilité - discutant : Cyril Masselot
› 8:30 - 9:00 (30min)
› Salle 220
Quelques éléments de considération sur la communication communautaire, à l'aune des pratiques médiatiques des communautés indigènes diaguitas
Herlène Toulemont  1, 2@  
1 : Modèles, Dynamiques, Corpus  (MoDyCo)  -  Site web
CNRS : UMR7114, Université Paris X - Paris Ouest Nanterre La Défense
Université Paris 10 Bâtiment A - Bureau 402 A 200, avenue de la République 92001 Nanterre Cedex -  France
2 : Consejo Nacional de Investigaciones Científicas y Técnicas  (CONICET)  -  Site web
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Quelques éléments de considération sur la communication communautaire, à l'aune des pratiques médiatiques des communautés indigènes diaguitas

 

Herlène Toulemont

Laboratoire Modyco

Université Paris Ouest- Nanterre – La Défense

Axe : 1. Sociétés

 

Le propos de cette communication est d'apporter des éléments d'éclairage sur la communication communautaire. Régulièrement employée comme synonyme de communication alternative, populaire, citoyenne ou militante, pour ne citer que quelques termes, cette notion est à l'évidence équivoque voire ambiguë. Les médias communautaires ont pourtant connu un essor sans précédent ces dernières années. En effet, nombre de pays latino-américains ont été amenés à reconsidérer la répartition de leur espace médiatique face à cette situation. En 2009, l'Argentine a initié le mouvement suite à la pression de professionnels des médias, et plus particulièrement de ceux du secteur communautaire. Elle a ainsi réformé sa loi de services de communication audiovisuelle en partageant équitablement les licences entre les acteurs privés, publics et communautaires. Parties prenantes de cette transformation, les communautés indigènes sont entrées dans un processus d'appropriation des moyens de communication pour produire, diffuser et partager des informations. Ils peuvent à ce titre être considérés comme des représentants du phénomène de communication communautaire.

 

L'objectif ici est de proposer des indices pour une conceptualisation de la « communication communautaire », au regard des pratiques médiatiques des communautés indigènes de l'ethnie diaguita. Il s'agit donc à partir d'un parcours empirique et théorique, d'apporter des éléments sur les caractéristiques et les enjeux de ces projets communicationnels.

 

L'hypothèse est que la communication communautaire se caractériserait comme un projet politique ancré sur un territoire géographiquement restreint. Elle trouverait son fondement dans la lutte pour l'amélioration des conditions d'existence et pour l'évolution du processus démocratique. Enfin, elle aurait un impact sur la cohésion, le fonctionnement ou encore le sentiment d'appartenance des citoyens à la communauté, de part son mode d'organisation, de gestion et de participation collectif.

 

Cette étude se base sur le travail de terrain que j'ai effectué, dans le cadre de ma thèse, au sein de neuf communautés indigènes de l'ethnie diaguita, situées dans la province de Tucumán, dans le Nord-Ouest argentin. De 2011 à 2013, j'ai réalisé des observations participantes, des entretiens, ainsi que des recueils de documents écrits, radiographiques et numériques produits par les communautés elles-mêmes.

 

Apparue dans les années 1980, la notion de « communication communautaire » s'est construite et a évolué sur des controverses, des tournants voire des ruptures fortes, donnant ainsi naissance à des définitions plurielles parfois contradictoires. Par conséquent, sa polysémie et la banalisation de son usage dans le langage commun, institutionnel, et même scientifique ont brouillé sa compréhension. Le texte pionnier de J. Berrigan, réalisé pour l'UNESCO en 1981 dans la lignée du célèbre rapport Mac Bride, la présente comme une méthodologie à mettre en œuvre, dans les pays dits du Sud, afin de favoriser les échanges entre les décideurs politiques et les populations défavorisées. Ancrée dans le champ de la communication pour le développement, la « communication communautaire » permettrait d‘atteindre un système communicationnel horizontal et démocratique.

 

Dans la première partie, il s'agira de questionner la nature des objectifs poursuivis par ce type de projet communicationnel communautaire. Les communautés indigènes peuvent être définies comme étant une organisation et une identité culturelle andino-coloniale, influencée et pénétrée par la société nationale argentine (Isla, 2009 : 53). Leur statut politico-juridique dépend donc de critères imposés par l'État. Une de leur particularité réside dans leur rapport au territoire, qui plus qu'un espace géographique, représente la base même de leur existence et de leur cosmovision. Si nombre de lois provinciales, nationales et internationales leurs reconnaissent officiellement la propriété de leurs terres, concrètement la situation est bien plus complexe et délicate. Celle-ci trouve ses racines dans les processus historiques de construction de l'identité nationale. En effet, à force de guerres et de politiques d'homogénéisation culturelle, la figure de l'indigène a progressivement disparue de la population argentine. Ce problème complique leur reconnaissance actuelle en tant qu'indigène, et par conséquent la possibilité d'accéder à la propriété de leurs terres ancestrales. Face à cette problématique, les dix-sept communautés indigènes de Tucuman, soit environ 3700 familles, se sont regroupées, en 2005, pour former l'Union des Peuples de la Nation Diaguita (UPND). Le but de cette association communautaire est d'apparaître comme un acteur politique notoire dans l'espace publique afin de faire reconnaître leur identité et leur territoire traditionnel. C'est dans ce processus de légitimation identitaire – que certains désignent sous l'expression « réveil indien » - que les médias de communication, ainsi que les technologies d'information et de communication (TIC) leurs sont apparus comme des moyens adéquats, sinon essentiels, pour porter leurs revendications. Ainsi, si certes le développement fait partie des objectifs des pratiques médiatiques communautaires des communautés indigènes, il ne s'agit pas d'un élément fondamental. En effet, le fondement de l'appropriation de médias communautaire est bien politique.

 

Dans une deuxième partie, je souhaite me pencher sur la thèse soutenue dans les recherches latino-américaines consacrées à la communication communautaire. Elles se situent au croisement de divers courants théoriques critiques fortement influencés par le marxisme notamment avec les travaux d'Antonio Gramsci, par la pédagogie libératrice de Paulo Freire ou encore par les Cultural Studies. Des spécialistes tels que Martin Jesús Barbero, Maria Cristina Mata ou encore Larisa Kejval ont engagé un tournant radical dans l'approche de cette notion. Ils soutiennent qu'il s'agit davantage d'un lieu de lutte contre les conditions de domination à l'œuvre dans le système social et médiatique, que d'un espace de discussion de type question-réponse, tel qu'envisagé dans les premières approches sur la communication communautaire. À travers l'expérience de terrain, ces remarques demandent à être nuancées dans la mesure où, d'une part, l'appropriation même des licences médiatiques est conditionnée par l'État ; et d'autre part, que les critiques sont davantage portées sur des événements localisés que sur des projets de changement radical de la société.

 

Dans une dernière partie, c'est la question des formes d'organisation, de gestion et de production des contenus médiatiques qui sera posée. Récemment, les communautés ont créées des profils sur des réseaux sociaux, des blogs, des sites internet, des radios FM, ou encore des radios VHF. Tous les artefacts disponibles sont sources d'usage, pour produire, diffuser et partager des contenus pour les communautés diaguitas. Les diaguitas sont des populations avec peu de ressources économiques et techniques. Elles doivent donc parfois faire preuve d'imagination en combinant, voire détournant, certains médias afin de transmettre des messages. Elles peuvent ainsi faire appel à différents détenteurs de moyens de communication, pour diffuser à longue distance des informations médiatiques. Les messages diffusés par radio VHF peuvent par exemple être retransmis sur radio FM ou sur les réseaux numériques, faisant ainsi intervenir de nombreux membres des communautés. Outre les processus collectifs de diffusion et d'organisation, ce sont les outils mêmes de communication être communautaires. Par contre, pour ce qui est de la production même d'informations, le travail de terrain montre qu'il s'agit souvent d'un processus individuel - et non collectif, comme le souhaiterait un idéal de communication communautaire.

 

Il est certain que la communication communautaire ne peut être considérée comme une donnée arrêtée, dans la mesure où elle s'inscrit et se développe en fonction de contextes particuliers. Cependant, il apparaît intéressant d'en repenser les critères à l'heure de ces transformations juridiques.

 

 

 

 


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