La création du World Wide Web en 1989 ouvre la possibilité d'accéder à toute l'information et à la connaissance du monde. Cette nouvelle invention transforme rapidement et profondément notre monde notamment au niveau de l'information et de la communication et sera même qualifiée de « troisième révolution » du signe par Legros (2012) et Serres (2012). Le web et les réseaux sociaux sont devenus des outils de communication et d'information dont les adolescents ne semblent plus pouvoir se passer. L'usage d'Internet fait désormais partie de leur vie quotidienne. En 2012, l'utilisation journalière d'Internet passe à 73% pour les 12-17 ans et 84% pour les 18-24 ans et tous les adolescents en France ou presque (98%) sont équipés d'un micro-ordinateur (Crédoc, 2012). D'autre part, le rapport de l'OCDE (2012) sur les mondes virtuels fait état de recherches montrant que les apprentissages seraient facilités et plus durables dans les mondes virtuels que par le biais des livres traditionnels.
Cette montée croissante voire intrusive du numérique dans nos vies, l'arrivée de toute la connaissance du monde à portée de nos doigts et l'offre massive des dispositifs techniques destinée à l'apprentissage : e-learning, serious games, mobile learning et plus récemment les Mooc posent la question de l'éducation et de l'apprentissage dans ces nouveaux espaces numériques. Cette question d'importance pour l'ensemble des sujets sociaux revêt un caractère particulièrement crucial pour les nouvelles générations.
La représentation sociale des « jeunes » face au numérique qualifie leurs capacités de « quasi innées » d'usage de ces nouveaux outils qui leur permettraient de gérer la multi-activité, le temps et l'espace. Cette dernière approche rappelle la vision techniciste optimiste des NTIC qui dominera les discours et les études des années 80 glorifiant un espace médiatique qui supprime la distance, rompt avec l'espace-temps et où la communication est instantanée. Ces technologies « magiques » faisant apparaître « un nouveau monde » puisqu'elles permettent « l'ubiquité » jusque-là réservée à Dieu (Jauréguiberry et Proulx, 2011). Les représentations et l'enjeu que représente le numérique tant du point de vue de l'éducation que de l'apprentissage nous ont amené à observer les pratiques de jeunes de 15 à 25 ans dans les espaces à des numériques. Cette communication vise à donner un éclairage sur les pratiques au sens de Jouët (1993) "la pratique est une notion [...] qui recouvre non seulement l'emploi des techniques (l'usage) mais aussi les comportements, les attitudes et les représentations des individus qui se rapportent directement ou indirectement à l'outil" et sur les perceptions d'apprentissage avec des dispositifs techniques dédiés à l'apprentissage de façon formel ou informel. Nous sommes partie des représentations du numérique chez les jeunes pour aboutir à leur façons de faire, leur logique de l'usage de ces ressources (de Certeau, 1980 ; Perriault, 1989)
Notre étude qualitative, qui étudie un corpus de 12 jeunes de 15, 20 et 25 ans, s'est déroulée en trois temps. Un premier temps, concerne la réalisation d'entretiens semi-directifs d' « histoire de vie numérique » qui a permis d'établir des portraits d'usagers numériques selon des périodes biographiques significatives tant au niveau biologique que social. Un deuxième temps, concerne une observation filmée sur quatre situations d'artefacts : une recherche d'information sur le web, un Serious game sur les réseaux sociaux, un module de formation en e-Learning et un jeu vidéo de gestion d'une ville. Cette observation a été suivie d'un entretien de retour d'expérience sur la perception d'apprentissage dans ces espaces numériques. Ces perceptions sont notamment liées aux représentations au sens d'Edgard Morin (1990), qui sont obtenues par un processus de construction, la perception étant une action du réel sur nos sens, mémoire, fantasmes. Il n'est pas facile de changer une représentation car elle est stable et cohérente pour l'individu Enfin, selon Flichy (2008), on ne peut ni concevoir, ni utiliser une technique sans se la représenter.
Ces deux premières phases nous ont permis de juger l'écart entre ce que les sujets ont dévoilé lors de l'entretien en termes de représentations sur leurs capacités et sur la perception d'apprentissage des dispositifs techniques proposés; et ce qu'ils font réellement par le biais de procédures et des stratégies individuelles. Les résultats permettront de mettre en évidence des pratiques et des stratégies singulières.
Un troisième temps, composé d'un dernier entretien de confirmation, réalisé un mois après l'expérimentation, a permis un retour sur des points non expliqués lors des deux précédentes phases. L'objectif étant de vérifier et de désintriquer le côté subjectif, lié aux souvenirs du sujet, des faits observés.
Notre approche qualitative a permis de cerner des représentations singulières des capacités et des perceptions d'apprentissage des jeunes sur différentes situations d'artefacts nécessairement limité par les contraintes de la recherche que cette communication commentera. Toutefois, nous pouvons faire deux principaux constats : d'une part, nous posons la question d'une nouvelle façon d'apprendre avec le numérique et de la mise en place d'un accompagnement à l'usage de ces nouveaux espaces. Et d'autre part, confirme la place qu'occupe la technologie dans la vie quotidienne et dans le processus d'apprentissage. Ainsi au terme de cette recherche, la question qui se pose aujourd'hui est comment mieux apprendre par soi-même compte tenu de la transformation des modalités d'apprentissage avec les ressources numériques, telles que la présente recherche les a abordées. L'hypothèse d'une externalisation des processus d'apprentissage généralisée grâce au perfectionnement technologique nous semble fragile. Compte tenu de ce que nous avons contribué à établir sur les dynamiques personnelles d'usage des jeunes, le déploiement des pratiques d'autoformation numérique chez les jeunes va vraisemblablement continuer à s'accélérer.
Bibliographie
Credoc, (2012). La diffusion des technologies de l'information et de la communication dans la société française.
http://www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/rapport-credoc-diffusion-tic-2012.pdf
Flichy, P. (2008), Techniques, usages et représentation. Revue Réseaux 2008/2-3 (n° 148-149)
Jauréguiberry, F. et Proulx, S. (2011). Usages et enjeux des technologies de communication, Ères. 143 p.
Jouet, J. (1993). « Pratiques de communication et figures de la médiation ». Réseaux 11, no 60 pp. 99‑120.
Legros, M. (2012). Article introductif du dossier « Apprendre à l'ère d'Interner ». Philosophie magazine, N°62 Septembre 2012.
Morin, E. (1981). Pour sortir du vingtième siècle, Paris, Nathan.f
OCDE, (2012). Regards sur l'éducation 2012 : Les indicateurs de l'OCDE. http://www.oecd.org/fr/edu/rse2012.htm
Perriault, J. (2008). La logique de l'usage. Essai sur les machines à communiquer, Paris,L'Harmattan, coll. Anthropologie, ethnologie, civilisation.
Serres, M. (2012). Petite poucette. Le pommier. Manifeste. 68 p