Penser les techniques et les technologies : Apports des Sciences de l'Information et de la Communication et perspectives de recherches
4-6 juin 2014 Toulon (France)
Jeudi 5
Arts et création
Discutants : Serge Bouchardon
› 8:30 - 9:00 (30min)
› Amphi 300
La culture de la participation dans les expressions et pratiques créatives numériques.
Brigitte Chapelain  1@  
1 : Laboratoire Communication et Politique [Paris]  (LCP)  -  Site web
CNRS : UPR3255
MSCI; 2ème étage; 20 rue Berbier du Mets; 75013 PARIS -  France

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le numérique et notamment le web 2.0 avec le développement des sites, des blogs, des réseaux sociaux, des forums et des flux d'informations multimédias qui s'y échangent ont influencé l'art (Greene 2005, Forest, 2008, Fourmentraux, 2005, 2010, Mahé, 2004,2010, Gorinuva, 2012), et n'en ont pas moins  favorisé l'apparition et l'évolution d'expressions et de pratiques créatives inédites. On entend ici par expressions et pratiques créatives des initiatives et des conceptions singulières, de nouveaux modes d'accès aux œuvres ainsi que de nouvelles formes collectives d'organisation, de communication et de production dans le champ artistique et culturel. Les machinimas, les fansubbers, les fanfictions et les blogs de lecteurs ont particulièrement retenu notre attention. Les machinimas sont des vidéos courtes réalisées à partir de séquences de jeux vidéo captées puis détournées de leur sens par l'ajout de dialogues inventés et de musique (Di Crosta 2009, Georges, Auray 2012 .Durand 2012, Ng, 2013 ).Le fansubbing qu'on pourrait désigner par sous-titrage pirate désigne les activités de traductions que mènent les fans d'un film, d'une B.D, d'une manga ou d'un épisode d'une série pour une diffusion sur Internet.(Hellenkson, 2012, Dagiral, Tessier, 2006). Les fanfictions sont des histoires écrites par les fans d'un roman, d'une série mais également d'une bande dessinée ou d'un jeu vidéo « pour prolonger, compléter ou amender leur univers favori »[1](Le Guern, 2002, 2009, Jenkins 2006, 2012, Smadja, 2011, Bourdaa, 2010, 2012, 2013, Sébastien François, 2013). Les blogs de lecteurs comme l'affirment leurs auteurs ont pour objectif de faire connaître un livre et de partager leur expérience et leur plaisir : il s'agit d'une écriture de la lecture.(Chapelain, 2009,2013, 2014).

Le numérique, nous disent Edmond Couchot et Norbert Hillaire[2], « simule un nombre de techniques préexistantes et en invente d'autres fondamentalement inédites ».On ne peut que constater la « remixabilité » dans certaines des expressions et pratiques créatives que nous avons privilégiées qui détournent des langages de leur médias spécifiques et qui recombinent les langages et les médias en mélangeant « les conventions du logiciel » et « les conventions culturelles »(Malevich, 2010).   Si la vidéo, le cinéma, la photo sont des expressions artistiques courantes, mais aussi des techniques revisitées par la numérisation, des genres nouveaux apparaissent comme les machinimas, les fansubbers, les fanfictions et les blogs de lecteurs, avec la possibilité de dialoguer et de participer à une démarche collective de création qui révèle des procédures innovantes.

Toutes ces nouvelles pratiques renforcent la consécration des écrans « comme support privilégié de nos rapports à la culture »[3], et ce faisant, ont diminué les frontières « entre culture et distraction, entre le monde de l'art et du divertissement »[4], comme celles entre les activités des amateurs et des experts.

S'interroger sur les processus qui gèrent, structurent et développent ces pratiques revient également à questionner la culture que celles-ci investissent et reconfigurent. Un certain nombre d'écoles et de travaux ont fait avancer la réflexion dans ce domaine.

Avec les cultural studies les pratiques culturelles populaires sont investiguées et analysées de façon transdisciplinaire en utilisant des méthodes plus anthropologiques où la production des individus ainsi que leurs propos et leurs écrits sont pris en compte. La notion de médiacultures montre bien la prise en compte de la culture des médias dans la construction du sens et de l'esthétique du monde contemporain.(Maigret, Macé,2005).

Certains chercheurs américains ont de leur côté travaillé sur des définitions de la culture dans un contexte numérique  reprises par beaucoup de travaux européens. La montée en puissance de la culture de la convergence (Jenkins, 2006, 2008, 2013) montre bien que la convergence technologique des médias anciens et des nouveaux s'accompagne  de nouvelles formes de participation et de collaboration à la fois pour les producteurs et les récepteurs. Lawrence Lessig[5] souligne le passage d'une culture de la lecture à une culture de la lecture/écriture qui offre aux internautes des choix d'écritures médiatiques et la possibilité de passer d'une forme d'écriture à une autre. David Peyron (2013) estime que la culture geek se définit d'abord par l'immersion dans des mondes et des univers  fictionnels (Rose, 2012)et « que la richesse de la vie tout court est dans le lien avec l'imaginaire »[6]. Pour les geeks dans la vie il n'y a pas que la vraie vie[7]. Chez eux on retrouve beaucoup de pratiques participatives comme la discussion, l'interprétation et  l'écriture, mais aussi le jeu considéré comme une fiction.

 

La participation se dégage comme une des constituants communs de ces pratiques. Peut-on vraiment parler de culture de la participation ? Et comment celle-ci s'exerce dans les machinimas, le fansubbing, les fanfictions et les blogs de lecteurs ?

 C'est sous l'angle communicationnel de la participation que nous allons analyser ces expressions créatives. Nous nous appuyons sur une veille de six mois d'une vingtaine de sites et de portails pour les machinimas, les fansubbers et les fanfictions ainsi que sur une douzaine de blogs de lecteurs.

La participation signifie prendre part. Il s'agit de l'action et du fait de participer et de l'ensemble des actes qui entraînent ce fait.(Robert, 1990). Dans  la participation interviennent des formes différentes comme la contribution, la coopération et enfin la collaboration.

Une contribution est une part apportée à une œuvre commune (Ertzsheid, 2012). C'est le cas des auteurs de fanfictions qui déposent leur texte au fur et à mesure de leurs écritures qu'il s'agisse d'un « one shot » histoire écrite en un seul chapitre et des histoires avec de nombreux chapitres et de sous-parties, ou encore les fansubbers traducteurs qui donnent un premier jet de la traduction des sous-titres qui leur étaient attribués.

Coopérer est prendre part à une œuvre commune sans remettre en question l'œuvre. Des sites tenus par des jeunes « machinéastes » traduisent cet esprit coopératif. Des offres de téléchargement d'outils, de visionnages et de conseils y sont généralement présentes[8] : « Je vais tenter de vous donner les clés permettant de débuter et de faire un premier film. »[9] Dans les forums[10] où de jeunes créateurs s'expriment, les demandes d'aides sont courantes et très précises: complément de la bande son, aide à la rédaction...

Enfin la collaboration est la participation à l'élaboration d'une œuvre commune avec la possibilité d'en discuter les règles. Il y'a dans la collaboration de l'engagement.(Ertzsheid, 2007.) Sur le site Fanfictions.fr, le rôle des reviewers, auteurs ou lecteurs assidus de fanfictions est « de montrer le chemin aux auteurs débutants, de fournir conseils et critiques et de classer les différentes fanfictions du site en fonction de leur qualité. »[11]Le bêta correcteur est essentiel aux communautés de fans car en plus de rectifier les fautes dans la forme il aide les fans à ne pas se perdre dans leur propre histoire et à mettre en évidence les problèmes de cohérence.[12] Un blog de lecteurs comme Biblioblog fondé au départ par une bibliothécaire est devenu depuis 2009 une association de six blogueurs et de rédacteurs occasionnels dont l'objectif est de promouvoir la communication et les échanges autour de la lecture en initiant des interviews et l'organisation d'un prix littéraire. Chacune de ces expressions et pratiques créatives présentent des activités ou des étapes où la participation s'exprime davantage sous forme de contribution ou  de coopération ou de collaboration.

Cette  culture de la participation ne va pas sans développer de l'expertise et induire des effets de prescription. Le choix de la participation comme organisation et moteur de ces pratiques créatives montre sans doute pour reprendre la formule de Milad Doueihi une nouvelle dimension de l'humain produite par les technologies.

 

 


[1] Sébastien François, Fanf(r)ictions, Tensions identitaires et relationnelles chez les auteurs de récits de fans, Passionnés, fans et amateurs, Réseaux n°153, Vol.27, 2009.

[2] L'art numérique, Comment la technologie vient au monde de l'art, Champs arts, Éditions Flammarion, 2009.

[3] Donnat Olivier, Les pratiques culturelles des français à l'ère du numérique: enquête 2008, Paris:la Découverte, Ministère de la culture et de la communication,2010.

[4] Cf Note 5

[5] Remix :making art and commerce thrive in the hybrid economy, 2008, Open source http://www.archive.org/details/LawrenceLessigRemix.

[6] Peyron David, Culture geek, Editions FYP, 2013.

[7] Slogan de la chaîne « No life »

[8] http://www.machinimaking.com site de Frederis Etteneim machinéaste, doubleur, moddeur.

[9] http://www.olibith.blogspot.fr

[10]http://www.forums. jeuxonline.info en est un exemple parmi d'autres, http://wegama;com/forums/machinma

[11] http://www.fanfictions.fr/informations_review.html

[12] Beta-correcteur .skyrock.com


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