Problématique
Quels sont les visages actuels de l'édition sur le web ? Est-il possible de déceler des courants éditoriaux susceptibles de s'ancrer durablement dans des pratiques ?
En donnant la parole aux récepteurs (lectorat, audience) le web a changé la nature de l'édition, mais en quoi l'activité éditoriale s'en trouve-t-elle modifiée ? Au sens traditionnel du terme, l'édition consiste à articuler différentes étapes de production (création), d'évaluation (édition) et de diffusion (publication) pour fabriquer un bien culturel diffusable à l'identique vers un lecteur, un auditeur, un spectateur dont la principale fonction est de recevoir et d'interpréter l'ouvrage réalisé.
L'éditorialisation de l'auteur pré-numérique est mesurable par le nombre d'intermédiaires organisés en professions chargées d'encadrer, de discuter, de rendre public, de critiquer et de médiatiser la production auctoriale. Dans le contexte des médias de diffusion, l'auteur en tant que maillon de la chaine éditoriale classique n'occupait la scène médiatique que s'il avait traversé avec succès un certain nombre d'épreuves et qu'une convergence entre acteurs s'était réalisée concernant ses potentialités en termes de :
- Légitimité : les experts du domaine concerné reconnaissent l'originalité, la validité et/ou la qualité de la production auctoriale ; le contenu est susceptible de capter l'attention des relais d'opinion.
- Diffusion : il existe un intérêt potentiel suffisant du public à s'intéresser aux produits créés pour que les intermédiaires entrent en action... ils peuvent compter sur la vente/location/visionnage/visite des objets culturels.
Cet ensemble formait autant de conditions au devenir auteur, conditions susceptibles d'être modulées suivant ses champs d'appartenance (ex : littéraire, scientifique, cinématographique, etc.) et la qualité du lectorat-audience (ex : public populaire, public spécialisé, expert, etc.).
Ces conditions se sont ajustées au web participatif et aux effets de viralité des réseaux sociaux.
- Les industries culturelles se sont adaptées au web : repérage de nouveaux talents, produits-tests avant lancement de la production (premiers chapitres, webseries, etc.), nouveaux genres éditoriaux : webtv, webradios, archives dont la consultation est scénarisée, créations transmédias et crossmédias, webdocumentaires, etc.
- En amont, du côté de la conception des contenus, les créateurs – en position autoritative – se sont emparés du web comme espace d'invention, de diffusion, de collaboration, et comme tremplin vers plus de notoriété... Ils sont en cela aidés par de nouveaux acteurs : des agents logiciels qui n'interviennent pas dans le processus de légitimation des contenus mais dans celui de leur médiatisation. Des contenus non légitimés par les instances classiques circulent ainsi de manière continue et s'opposent quelquefois aux produits éditoriaux.
Différentes études ont montré que le web diversifiait la notion de chaine éditoriale (Deseilligny, 2007) calant chronologiquement des opérations de fabrication. Il existe une grande variété de dispositifs éditoriaux en ligne qui réagencent les rôles et les fonctions dans les processus de création et de diffusion au public des œuvres produites dont il serait utile de faire l'inventaire et de dresser une typologie.
Cette communication se propose de donner un cadre à l'analyse des nouveaux champs éditoriaux en observant les interactions médiées par les techniques logicielles pour construire une grille d'échelonnage de la participation.
Références théoriques
Nous nous situons dans une approche phénoménologique de l'observation des objets informationnels et du comportement de leurs acteurs dans le contexte de leur activité. La spécificité de l'approche phénoménologique est d'étudier comment les personnes construisent du sens dans l'intersubjectivité en observant les actes cognitifs et perceptuels qui se manifestent en conscience et en mouvement, en omettant intentionnellement de s'intéresser aux causes et au point de vue objectif sur la réalité (Wilson, 2002). Notre expérience du monde est intersubjective car nous expérimentons le monde avec et à travers les autres. La totalité des artefacts sociaux et des objets culturels ne prend sens que dans l'activité humaine.
Dérivée de ce courant philosophique ayant essaimé les sciences humaines et sociales, l'approche « information behavior » - en science de l'information nord-américaine - traduisible par « comportement informationnel » est basée sur le postulat que les personnes créent les significations au cours de leurs activités de recherche d'informations. Nous nous proposons d'utiliser ce concept pour observer les façons dont les interactions textuelles se produisent lors de l'acquisition d'informations (information seeking) en collectif (Karunakaran, 2013).
Selon (Broudoux, 2007) dans l'univers numérique, l'« autorité informationnelle » est le résultat d'un jeu de forces entre des composantes (énonciative, institutionnelle, de contenu, logicielle) ; sa fonction principale étant d'in-former, c'est-à-dire donner une forme interne permettant aux contenus d'être appréhendés, interprétés, appropriés.
Les dispositifs logiciels de médiation des contenus susceptibles de créer des champs éditoriaux - c'est-à-dire des espaces d'amélioration et de médiation des contenus – auxquels nous nous intéressons sont basés sur des types d'autorité informationnelle qu'il s'agira de distinguer. Les plateformes participatives sur le web seront donc considérés comme des « autorités informationnelles » à partir desquelles un certain nombre d'actions est rendu possible selon leur orientation.
Nous souhaitons proposer une grille de lecture permettant d'identifier ces nouveaux champs éditoriaux, en commençant par décrire leur principe d'existence, leurs modes d'automatisation et les spécificités des interactions qui s'y déroulent. Une première différenciation sera réalisée entre dispositifs éditoriaux s'appuyant sur la participation des lecteurs autour de la création de contenus et les produits eux-mêmes - ici documentaires - qui sont conçus pour construire une identité narrative aux lecteurs au cours de leur consultation.
- Dispositif éditorial participatif
- Les onglets Discussion des Wikis
- Les commentaires des articles de journalistes
- Les collections documentées par les usagers
- Produit éditorial
- La participation orchestrée dans les web-documentaires
Bibliographie
Broudoux E. « Construction de l'autorité informationnelle sur le web » (dir. Skare R., Windfield Lund N., Varheim A.) in « A Document (re)turn (contributions from a research field in transition) ». Peter Lang/Europäischer Verlag der Wissenschaften, pp. 265-278, mars 2007.
Broudoux E. « Le documentaire élargi au web » in « Le(s) Multi-média(s) ». Les Enjeux de l'information et de la communication, décembre 2011, 74 p.
Cardon D. et Levrel J., « La vigilance participative. Une interprétation de la gouvernance de Wikipédia », Réseaux, 2009/2 n° 154, p. 51-89.
Davis H.D., Shaw D., « Introduction to information science and technology », Asis&t, Information today, 2011. 272 p.
Deseilligny O. (et al.), « Création littéraire en ligne : stratégies auctoriales et modèles éditoriaux » in « Enjeux et usages des TIC – Médias et diffusion de l'information : vers une société ouverte ». Colloque international EUTIC : 8-10 novembre 2007, Gutenberg, Athens, 2008, 402-410.
Jahnke I. « Dynamics of social roles in a knowledge management community ». Comput. Hum. Behav. 26, 4 (Juillet 2010), 533-546.
Karunakaran, A. (et al.), Toward a model of collaborative information behavior in organizations. Journal of the American society for Information Science and Technology, 2013, 64: 2437–2451.
Moirez P. « Archives participatives » in Bibliothèques 2.0 à l'heure des médias sociaux. Editions du Cercle de la librairie, 2012, 187-197.
Wilson, T.D. « Alfred Schutz, phenomenology and research methodology for information behaviour research », ISIC 2002, Lisbonne, Portugal.
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