L'évolution des pratiques professionnelles liées à l'intégration des dispositifs numériques. Le cas des agences MLS des Alpes-Maritimes.
Mots clés : TIC, Transaction immobilière, Outils mobiles, Observation participante, Constructivisme.
Auteurs :
Rejeb Hanene, doctorante en Sciences de l'information et de la communication, Université de Nice, I3M.
Courriel : rejebanene@yahoo.fr
Ivan Ivanov, docteur en Sciences de l'information et de la communication, Université du Sud Toulon-Var, I3M.
Courriel : ivan.ivanov@univ-tln.fr
Cet article s'intéresse à l'intégration des dispositifs numériques mobiles dans le secteur de la transaction immobilière et à leur impact sur l'évolution contemporaine des pratiques professionnelles de l'agent immobilier. Quelles sont les transformations causées par l'arrivée et l'intégration des technologies de l'information et de la communication (TIC) sur ce métier, tant sur le plan du savoir et du savoir-faire, qu'en termes d'évolution de comportement des clients ? Dans quelles mesures ces mutations dans le travail des professionnels de l'immobilier sont-elles liées à l'apparition des nouveaux concurrents ?
Aborder l'étude des technologies de l'information et de la communication à travers l'usage des outils mobiles permet de mieux comprendre le changement organisationnel (Durampart, 2009) des rapports traditionnels entre les individus au travail, au temps et à l'espace, une problématique chère aux sciences de l'information et de la communication (Miège, 2005). Les outils mobiles donnent la possibilité d'exercer un métier n'importe quand et n'importe où (Leclercq, Isaac, 2005), à la fois sur et en dehors des lieux de travail (Chet, Nath, 2005). Les technologies mobiles occupent non seulement une place centrale dans le développement économique des entreprises françaises (Grenan, 1996), mais sont également des outils de mesure fiables du changement paradigmatique des organisations (Besson, Haddadj 1999) et du rôle de la communication en tant que processus organisant et organisé (Bouzon, 2004). Elles font entrer les individus et les organisations dans une logique mobiquitaire liées aux caractéristiques propres d'Internet (connectivité, ubiquité, fluidité, rapidité et universalité/Greenfield, 2007).
Si les TIC ont déjà sensiblement modifié l'organisation des agences immobilières (plateformes numériques, offres en ligne, espaces de ventes interactifs, etc.), peu d'études s'intéressent à la mutation des pratiques professionnelles – fortement liées au comportement des clients (aussi bien des acheteurs que des vendeurs) – des agents immobiliers par les technologies mobiles dans un contexte d'apparition de nouveaux concurrents tels que les mandataires immobiliers ou les agences low cost.
Afin d'étudier ce phénomène, nous proposons de nous intéresser aux questionnements suivants :
- Quel est l'impact des TIC mobiles sur le repositionnement et la réorganisation du métier des professionnels de l'immobilier ?
- Quelles sont les évolutions des relations entre l'agent immobilier et ses clients (acheteurs et vendeurs) ?
Pour répondre à ces questionnements, nous avons mené une étude auprès des agences immobilières membres du service inter-agences (MLS) à Nice, une ville dont le marché immobilier local – qui a un poids économique et financier toujours croissant tant au niveau national que régional – est très développé et dynamique, mais aussi marqué depuis plusieurs années par l'usage intensif des technologies de l'information et de la communication.
Le service inter-agence MLS des Alpes-Maritimes, fondé en 2001, est une association régie par la loi de 1901 dont le fonctionnement est dérivé du modèle américain des agences MLS. Chaque agence apporte au service inter-agence à laquelle elle appartient tous ses mandats exclusifs. Leur base de données est gérée en temps réel grâce à une plateforme d'échange sur internet.
Le choix de mener une observation participante en tant que membre du personnel (Ivanov, 2013) a été influencé par notre expérience dans le domaine de l'immobilier au poste d'agent immobilier membre du service inter-agence. Le cadre d'analyse appliqué est celui de la communication organisationnelle (Bouzon, Meyer, 2006) et nous nous référons aux théories de la complexité pour construire notre méthode d'analyse. Ancrée dans l'épistémologie constructiviste (Le Moigne, Morin 1995), notre étude inductive nous permet d'expliciter nos analyses en fonction de l'évolution de notre étude empirique.
Une méthode mixte (Brotcorn, 2005) de collecte et d'analyse de données a été ensuite utilisée. Plusieurs entretiens ciblés auprès des agents immobiliers et des clients ont été effectués. Nous avons interviewé 100 acquéreurs et 100 vendeurs et nous avons réalisé 50 entretiens auprès des agents immobiliers membres du réseau MLS. Dans un deuxième temps, une enquête quantitative auprès des agents immobiliers nationaux (un corpus de 17000 courriels) a été réalisée afin de trianguler les analyses mais aussi les résultats tout au long de la recherche. La méthode mixte permet d'équilibrer les connaissances sur un sujet donné pour qu'elles n'envahissent pas la réflexion du chercheur membre de l'organisation. Elle facilite ainsi la prise de recul nécessaire et un travail de remise en question permanent sur les connaissances avant et au cours de notre travail.
Les premiers résultats montrent que l'évolution des TIC a généré plusieurs changements. L'apparition d'agences immobilières virtuelles qui travaillent uniquement via Internet, a causé la transformation des pratiques professionnelles des agents immobiliers, mais aussi des comportements des clients (les acheteurs et les vendeurs). Plus informés, plus exigeants, plus experts et plus consuméristes, les clients deviennent de plus en plus attachés aux dispositifs technologiques mobiles dans la recherche et la vente des biens immobiliers. Par ailleurs, les professionnels de l'immobilier font davantage usage des réseaux sociaux et des technologies mobiles pour mieux gérer en temps réel leurs contacts avec les clients. Auparavant, les professionnels de l'immobilier contrôlaient les biens à vendre, le prix et le droit de l'immobilier. Mais avec l'évolution d'internet – devenu indispensable, voire inhérent aux pratiques professionnelles des agents immobiliers – le client trouve aujourd'hui instantanément toute l'information dont il a besoin pour négocier les biens immobiliers, ce qui permet de parler d'une asymétrie d'information : pour les clients des agences immobilières, elle devient davantage accessible.
Nos résultats contribuent ainsi aux travaux sur l'influence des TIC sur le secteur immobilier caractérisé par le partage mutuel de l'information entre les agents et leurs clients. Ils éclairent la manière dont les pratiques professionnelles des agents immobiliers évoluent grâce à la redistribution de l'information en tant que savoir pratique (De Céglie, Ivanov, 2011) vers des formes plus dynamiques, mais aussi plus équilibrées, marquées par l'usage indispensable des dispositifs techniques mobiles. Par ailleurs, cette mutation dévoile des processus sociaux occultés jusqu'à présent qui caractérisent probablement d'autres domaines professionnels, rendent tangible le décloisonnement du temps et de l'espace dans les organisations et qui constituent des terrains fructueux pour des recherches à venir.
Le plan choisi :
I. Les TIC et les technologies mobiles au sein des agences immobilières.
- L'évolution du contexte numérique et son impact sur le comportement des clients.
- Observation participante au sein d'une agence immobilière (MLS).
- L'agent immobilier face au décloisonnement du temps et de l'espace.
- Un savoir redistribué et instrumentalisé par les clients grâce aux technologies mobiles.
II. Une pratique professionnelle revisitée ?
Bibliographie sélective
Bouzon A., (2004). La place de la communication dans la conception de systèmes à risques. Paris : L'Harmattan.
Bouzon A., Meyer V., (coord.), (2006). La communication organisationnelle en question, Paris, Harmattan.
De Céglie A., Ivanov I., (2011). « Le journal interne : une pratique collaborative de connaissance », ISKO, Colloque international “Stabilité et dynamisme dans l'organisation des connaissances”, 27-28, Lille.
Durampart M., (2009). « Le changement organisationnel construit dans l'évitement du projet de changement », Communication & Organisation, n° 36, pp. 222-237.
Greenfield A., (2007). Every[ware], la révolution de l' Ubimédia .Limoges : FYP.
Ivanov I., (2013). « Communiquer et agir en commun : le cas d'un journal interne instrumentalisé », Communication & Organisation, n° 43, pp. 213-226.
Jouet J., (2000). « Retour critique sur la sociologie des usages », Réseaux, n°18(100), pp.487-521.
Miège B., (2005). La pensée communicationnelle, Grenoble, PUF.
Le Moigne J.-L., Morin E., (1999). L'intelligence de la complexité, L'Harmattan, Paris
Mucchielli A., (1991). Les Méthodes qualitatives. Paris : PUF.
Proulx S., (2001). « Usages des technologies d'informations et de communication : reconsidérer le champ d'étude », Actes du XIIème Congrès national des sciences de l'information et de la Communication, UNESCO (Paris), 10-13 janvier 2001, pp.57-66.
Rallet A., (2006). « Technologies de l'information et de la communication. Un enjeu économique de société », Sciences de l'information et de la communication. Objets, savoirs discipline. Olivesi, S., (Dir.), Grenoble, Presse Universitaire de Grenoble, pp.145-160.
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