Penser les techniques et les technologies : Apports des Sciences de l'Information et de la Communication et perspectives de recherches
4-6 juin 2014 Toulon (France)
Jeudi 5
Organisations
discutants : Michel Durampart et Elizabeth Gardère
› 9:00 - 9:30 (30min)
› Salle 221
Une approche info-communicationnelle de la conception des TIC
Pierre Humbert  1@  
1 : Centre de Recherche sur les Médiations  (CREM-EA3476)  -  Site web
Université de Lorraine : EA3476
UFR Sciences Humaines et Sociales SHS Metz Université de Lorraine Ile du Saulcy 57045 METZ -  France

Résumé

Cette communication propose de s'intéresser à la « genèse » de toute technologie de l'information et de la communication : sa conception. En particulier, nous souhaitons développer un point de vue portant sur les pratiques d'information et de communication au sein des équipes projet. Concevoir de tels artefacts repose, pour une bonne part, sur la connaissance des concepteurs du domaine d'application de ces technologies : quels usages, quel rapport l'utilisateur entretient-il avec l'instrument, quelles pratiques pré-existantes, etc. ? Ce principe amène ces derniers à raisonner sur des représentations du cadre d'usage : modèle de l'utilisateur ou usager modèle, modélisation de flux de données, etc. La notion de modèle est omniprésente dans la littérature scientifique et technique portant sur les systèmes d'information (SI). Représentation systémique tournée tant vers le système lui-même que vers l'environnement avec ou sur lequel il est amené à agir, cette notion est, en effet, intrinsèquement liée à la nature des SI.

La question du modèle du public des TIC représente une part non négligeable de cette littérature, afin d'adapter au mieux les systèmes aux attentes de ce dernier et faciliter leur utilisation. Nombre de travaux s'attachent en effet à proposer des représentations des usagers à travers des profils ou des modèles des besoins informationnels, tâches, activités cognitives et usages de l'information afin de façonner le dispositif en y intégrant ces nombreux facteurs (Wilson, 1995 ; Rabardel et Pastré, 2005 ; Moscato, 2005). Ceux-ci ne sont pas sans rappeler une certaine approche de la « conception de systèmes centrée sur l'utilisateur » pour laquelle s'est développé un cadre de normalisation des pratiques, comme l'illustre la série de normes ISO 9241 en ergonomie et rappelée dans la majorité des démarches qualités (Leleu-Merviel, 1997). L'émergence de champs de recherche tels que le requirements engineering (RE) en informatique (Easterbrook, 1991 ; Prado Leite et Freeman, 1991) et l'importance grandissante donnée, dans les travaux scientifiques et dans les pratiques, aux processus visant à rapprocher usagers et concepteurs, tels les approches participatives (Caelen, 2009) ou ethnographiques (Crabtree, 1998) de la conception, montre un centrage évident de la stratégie de conception sur les publics d'usager des systèmes.

En sciences de l'information et de la communication, nombre de chercheurs ont assimilé depuis longtemps l'enjeu de prendre en compte les publics dans les diverses médiations qu'introduisent les dispositifs techniques d'accès à l'information (Ihadjadène et Chaudiron, 2008), par exemple dans le domaine de l'ingénierie documentaire (Lainé et Cruzel, 1999 ; Papy et Leblond, 2007) ou dans le domaine des systèmes de veille et d'aide à la décision (Kislin, 2007). Cependant, à notre connaissance peu de travaux se sont intéressés au processus qui conduit finalement à l'existence même du modèle sur lequel s'appuient les concepteurs de ces dispositifs. La réflexion que nous présenterons dans cet article tente précisément de déplacer la focalisation et d'aborder la question non pas seulement du modèle de l'usager pour qui le dispositif technique est conçu, mais celle du processus par lequel émerge et se construit la représentation, et donc une certaine forme de connaissance de l'usager modèle, à laquelle se réfèrent les concepteurs. Dans cette optique, nous avons choisi de nous intéresser à leurs pratiques informationnelles (Chaudiron et Ihadjadène, 2010) et aux processus sociaux, organisationnels et cognitifs sous-jacents à ces dernières. Nous nous appuierons pour cela sur les données collectées dans le cadre d'un projet de conception d'un dispositif numérique de collaboration, dans la posture de l'observation participante d'une part et d'autre part par la constitution d'un corpus de documents d'activité construit alors que nous apportions notre contribution au projet en tant qu'assistant chef de projet. En nous inspirant des travaux du groupe Langage et travail, notamment ceux de Béatrice Fraenkel (2005), et ceux se réclament d'une approche par le document des pratiques professionnelles (Peyrelong, 2002 ; Guyot, 2006). Nous considérerons, en effet, ces pratiques et les documents qui en sont notamment les traces, comme révélateurs des prismes par lesquels se construit la connaissance du domaine d'application et des publics de la technologie au sein de l'équipe projet : enjeux de pouvoir, légitimité de l'expertise, circulation des savoirs.

L'une des originalités des travaux que nous présenterons est que notre approche du terrain, durant plusieurs années au sein du projet, nous a permis de collecter également, lors des phases de tests, des éléments du discours du public visé par les concepteurs, s'exprimant à propos de la plateforme collaborative. Ces éléments, extérieurs au terrain considéré en premier lieu (l'équipe projet) et constituant un second corpus, nous permettent de mettre en lumière l'influence de ces pratiques. Ils déterminent ainsi la forme et la nature même du dispositif, de telle manière que les utilisateurs testeurs, dans leur tentative de donner du sens au dispositif relativement à leurs pratiques prééxistantes (Le Marec, 1997), sont parvenus à lire en lui les éléments même qui ont marqués sa genèse.

En prenant appui sur une précédente restitution de nos travaux (Humbert, 2012), notre communication mettra l'accent sur ce que peut nous apprendre une approche info-communicationnelle (Paganelli, 2012) de la construction des technologies de l'information et de la communication en nous intéressant particulièrement aux concepteurs, acteurs structurant, organisant et, d'une certaine manière, se projettant individuellement et collectivement dans la construction des technologies (Feenberg, 2004).

Pour aborder cette question, nous rappellerons dans un premier temps le cadre théorique qui nous permet d'aborder les TIC doublement comme des construits sociaux, émergeant d'une part de l'activité des concepteurs, que nous développerons plus particulièrement, et d'autre part du processus d'appropriation des usagers. Nous aborderons dans un second temps l'approche info-communicationnelle dont nous voulons montrer à la fois l'apport et la pertinence, après avoir rappelé notre terrain de recherche et le corpus que nous avons exploité. Enfin, dans une troisième partie, nous tenterons de mettre en évidence les logiques sous-jacentes à la construction de la connaissance mobilisée par les concepteurs durant le processus de spécification. Une restitution croisée entre les éléments de discours collectés permettant de rendre compte de la réception du dispositif par les usagers testeurs et les logiques mises en évidence précédemment, contribuera à formuler une conclusion portant sur l'influence des pratiques informationnelles des concepteurs sur l'appropriation des TIC par les usagers.

Bibliographie

Caelen J. (2009). Conception participative par « moments » : une gestion collaborative. Le Travail Humain, 72, 1, 79-103.

Chaudiron, S. & Ihadajadène, M. (2008). L'étude des dispositifs d'accès à l'information électronique. In : Papy F. (Dir). Sciences de l'information : Problématiques émergentes, Paris Hermès, 182-207.

Crabtree A. (1998). Ethnography in Participatory Design. In Proceedings of the Participatory Design Conference, 93-105, Seattle.

Easterbrook, S. M. (1991). Elicitation of Requirements from Multiple Perspectives. Thèse, Imperial College of Science Technology and Medicine, University of London, UK.

Feenberg, A. (2004). (Re)penser la technique. Vers une technologie démocratique. Trad. Dibon, A-M. La découverte / MAUSS, Paris.

Fraenkel, B. (2001). Enquêter sur les écrits dans l'organisation. In Langage et travail : (communication, cognition, action ). Paris: Ed. du CNRS.

Guyot, B. (2006). Dynamiques informationnelles dans les organisations. Hermes Lavoisier, Paris.

Kislin P. (2007). Modélisation du problème informationnel du veilleur dans la démarche d'intelligence économique. Thèse de l'Université Nancy 2, novembre.

Lainé-Cruzel S. (1999). Profildoc : filtrer une information exploitable. Bulletin des Bibliothèques de France, 5, 60-65.

Leleu-Merviel, S. (1997). La conception en communication. Méthodologie qualité. Hermès, Paris.

Le Marec J. (1997). Sociologie des pratiques informationnelles In Dictionnaire encyclopédique de l'information et de la documentation, S. Cacaly, Y. Le Coadic, M. Melot, P.-D. Pommart et E. Sutter dir. Paris :Nathan PAGES, 1997, p.538-542.

Moscato, M. (2005). Analyse des tâches en ergonomie : méthodes, performances, facteurs humains. Ellipses, Paris.

Paganelli, C. (2012). Une approche infocommunicationnelle des activités informationnelles en contexte de travail : Acteurs, pratiques et logiques sociales. Université de Grenoble.

Peyrelong, M.-F. (2002). Apports et implications de l'approche par le document. Consulté à l'adresse http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00001516

Prado Leite, J. C. S., Freeman P. A. (1991). Requirements Validation Through Viewpoint Resolution. IEEE Transactions on Software Engineering, 17 (12), 1253-1269

Rabardel, P., Pastré, P. (2005). Modèles du sujet pour la conception : dialectiques, activités, développement. Octarès, Toulouse.

Wilson T. (1995). Modelling the information user : the wider perspective. In Actes de la conférence INFOTECH '95, novembre, Kuala Lumpur, Malaysie.


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