Penser les techniques et les technologies : Apports des Sciences de l'Information et de la Communication et perspectives de recherches
4-6 juin 2014 Toulon (France)
Jeudi 5
Société
Tic citoyenneté, communication politique - discutante : Andrea Catellani
› 10:30 - 11:00 (30min)
› Amphi 100
Constances en matière d'usages médiatiques et de militantisme sociopolitique en Afrique du Nord
Fathallah Daghmi  1@  
1 : Migrations internationales, espaces et sociétés  (MIGRINTER)  -  Site web
Université de Poitiers, CNRS : UMR7301
Maison des Sciences de l'Homme et de la Société - 99 avenue du Recteur Pineau - 86000 Poitiers -  France

Les théories et pratiques en communication présentent diverses stratégies de changement selon les contextes et les pays. La tradition orale, la presse écrite, la radio, la télévision, internet et les Technologie de l'information et de la communication (TIC) sont des outils mobilisés par les responsables médiatiques, par les politiques, par les acteurs de la société civile et globalement par les citoyens dans une perspective de changement et de mobilisation sociale et politique.

L'évolution de nos sociétés ces dernières décennies, dont l'un des moteurs est la technologie numérique, a engendré des grands bouleversements aussi bien dans les pays du Nord que dans les pays du Sud tant sur le plan social, économique que politique. Ces « nouvelles » techniques de communication sont omniprésentes au point de paraître comme instigateurs des changements sociaux. Ce point de vue cher aux technologistes nous pousse à de multiples interrogations concernant le rôle supposé puissant et déterminant des réseaux sociaux numériques, de la téléphonie mobile et autres techniques nouvelles dans la transformation de l'ordre social et politique. L'avènement de ces médias a en effet favorisé de nouvelles formes de mobilisations et d'identification des mouvements de contestation citoyennes (Proulx, 2012). Aussi, ces événements montent clairement les interactions et influences mutuelles entres les médias « classiques » et « nouveaux ».

Plusieurs mouvements de mobilisation sociale et politique ont vu le jour dans l'espace méditerranéen à l'instar des soulèvements arabes, des Indignés et dans d'autres régions du monde à l'instar d'Anonymous et des mouvements de contestation dans les départements français d'Outre-mers, la mobilisation au Québec, en Turquie, au Brésil et dans d'autres pays du monde.

C'est dans ce sens que nous nous posons un certain nombre de questions pour penser ce changement qui renvoient à la notion d'engagement citoyen. En effet, quelles sont les modalités du passage de la participation médiatique à l'engagement « réel » dans la sphère politique ? Ce passage est sans doute marqué par une maîtrise des outils numériques, par une habilité à disposer des compétences rendant efficace la communication dans l'espace public, l'enracinement dans la culture politique et militante « classiques ».

Les Sciences de l'information et de la communication constituent donc un excellent cadre pour saisir les mouvements de mobilisation parce qu'elles privilégient une approche pluridisciplinaire et des perspectives d'observation des phénomènes complexes et entrelacés (Dumas, 2014). Les technologies de la communication dans leur diversité symbolique et matérielle, de la téléphonie mobile aux réseaux sociaux numériques, de la télévision à l'informatique, peut être approché comme des vecteur de changement, des révélateurs de modes de vie, des lieux d'observation d'une pragmatique langagière, etc.

Afin de penser le rapport entre mobilisations sociales et médias nous nous intéresserons aux soulèvements arabes en Afrique du nord. Les évolutions des espaces publics de cette région du monde sont impulsées par le rôle mobilisateur des TIC mais surtout des modifications des pratiques d'engagement politique et citoyen.

Nous privilégions dans cette analyse l'approche de l'appropriation afin de penser les usages des médias notamment numériques par les citoyens arabes. « L'appropriation est un procès, elle est l'acte de se constituer un ‘soi' » (Jouet, 2000, 502). Selon cette vision nous pouvons considérer que les médias et les TIC ne se développent et ne se diffusent qu'en rapport avec les représentations sociales (Moscovici, 1984) et les modes de socialisation contemporaines (Mallein, Toussaint, 1994, 317).

C'est dans ce sens que nous pouvons apprécier la proposition de Serge Proulx qui insiste sur l'importance d'envisager les dimensions sociale et cognitive dans l'analyse des usages des citoyens (Proulx, 2006). L'analyse des significations des usages est primordiale pour penser les processus d'appropriation des TIC et l'identification des « trajectoires d'appropriation ». « Dans la mesure où l'on prend en compte les composantes sociale et historique mobilisées dans la genèse des usages, il devient pertinent de penser l'usage comme lieu de politisation » (Proulx, 2006).

Ces soulèvements arabes renvoient également la notion d'opinion publique qui découle d'un effort d'adaptation entre le système social et le monde vécu, « l'échange intersubjectif » par lequel nous construisons quotidiennement un monde commun, entre opinion individuelle et opinion collective. « Elle renvoie, au final, à la façon dont se fonde la cohésion sociale, aux conditions qui rendent possible une entente par la communication » (Rieffel, 2001, 26).

Notre propos s'appuie d'une part sur enquête de terrain datée de 2012 et qui a touché une population de près de 500 individus au Maroc. D'autre part, il sera question de mettre en perspective, par une approche comparative, les résultats de notre enquête avec d'autres enquêtes de terrain menées après les soulèvements arabes en Egypte, en Algérie et en Tunisie, ce qui permettra sans nul doute de mieux cerner ce que font les publics d'internet : usages informatifs, sociaux, politiques, religieux, constructions identitaires, etc.

 

Cette contribution entend offrir des pistes de réflexions susceptibles de penser, de déconstruire et d'apprécier la nature du pouvoir du changement engendré par l'appropriation par les citoyens de ces outils de communication. Ce changement est bien entendu spécifique au contexte historique, social, politique, culturel au point de faire de chaque mouvement social un cas à part, cependant, force est de constater que dans nombre de cas, les actions citoyennes dépendent largement des canaux de diffusion de l'information et de la coordination des actions par de la téléphonie mobile et par les outils du Web.

Nous aborderons dans une première partie de notre contribution, après un bref retour sur les contextes médiatiques en Afrique du Nord, nous exposerons les modalités d'engagement et d'usages des médias par les citoyens à l'aide des résultats de notre enquête de terrain. Pour mesurer les éventuelles évolutions des pratiques citoyennes et des modes d'action et d'engagement « de masse », nous dégagerons dans une deuxième partie des traits communs aux mouvements de contestations sociopolitiques sur les réseaux numériques au Maghreb et en Egypte notamment quant à l'apparition de nouvelles formes de militantisme. Là encore l'objectif est de mettre en relief les constances relatives à cette partie du monde en matière d'usages médiatiques et de militantisme sociopolitique afin d'offrir des perspectives comparatives avec d'autres mouvements de mobilisation dans les autres régions du monde.

 

Bibliographie indicative

Anderson B., 1996, L'imaginaire national: réflexions sur l'origine et l'essor du nationalisme, Paris, La découverte.

Daghmi F., Toumi F., Amsidder A., 2013, Les médias font-ils les révolutions ? Regards critiques sur les soulèvements arabes, Paris, L'Harmattan, 206 p.

Ferjani R., Mattelart T., 2011, Monde arabe : les révolutions 2.0 n'ont pas eu lieu, Dossier, Médias, n°30, Automne 2011 http://www.revue-medias.com/-mediamorphoses,66-.html (Consulté le 29 janvier 2013)

Jauréguiberry F., Proulx S., 2011, Usages et enjeux des technologies de communication, Toulouse, Erès.

Jouët J., 2000 « Retour critique sur la sociologie des usages », Réseaux, n°100, France Télécom-Hermès Sciences Publications.

Mattelart T., 2009, « Les diasporas à l'heure des technologies de l'information et de la communication : petit état des savoirs », tic&société [En ligne], Vol. 3, n° 1-2 | 2009, mis en ligne le 14 décembre 2009, Consulté le 20 février 2013. URL : http://ticetsociete.revues.org/600

Proulx, S. (2012), « La puissance d'agir des citoyens dans un monde fortement connecté » in AMSIDDER A., DAGHMI F., TOUMI F. (dir.), (2012), Usages et pratiques des publics dans les pays du Sud : Des médias classiques aux TIC, Agadir, Université Ibn Zohr, 450°p.

Rieffel R., 2001, Sociologie des médias. Paris, Ellipses.

Thiesse A.M., 1999, La création des identités nationales. Europe XVIIIe-XXe siècle, Paris, Seuil.


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