Avec la mondialisation, le développement rapide des TIC a eu des effets à l'échelle internationale, modifiant ainsi l'organisation, les pratiques et les modes de vies de différentes sociétés, dans plusieurs domaines. En effet, qu'il s'agisse du champ domestique ou professionnel, l'usage des TIC entraine des changements dans les conditions d'exercice de l'activité humaine, notamment dans des pays africains. Et même si l'accès aux outils technologiques ne s'est pas autant développé en Afrique que dans les pays occidentaux, les mutations qu'ils ont causées ne peuvent être négligées. Dans un pays comme le Sénégal, c'est particulièrement l'Internet et la téléphonie mobile qui ont été à l'origine des plus importants bouleversements, aussi bien dans la vie quotidienne des citoyens que dans toute autre sphère. Concernant, l'Internet, les premières initiatives datent du début des années 90 même si l'utilisation est longtemps restée marginale et souvent faite dans les organisations internationales, les ONG et instituions étatiques. Dans la population globale, en 2000, les utilisateurs d'Internet étaient estimés au nombre de 40.000 et, en 2013, ce chiffre est passé à près de 2.500.000. Concernant, la téléphonie mobile, le taux de pénétration est d'environ 95% avec un nombre d'abonnés de 12 721 745 sur une population de 13 932 586 d'habitants[1].
Un des secteurs où ces changements ont été le plus perceptibles est celui des médias, particulièrement en 2000, avec l'élection présidentielle qui a abouti à la première alternance politique qu'ait connu le pays. Plusieurs observateurs ont estimé que le rôle des médias a été déterminant dans ce scrutin, après 40 ans sous le pouvoir socialiste. Parmi les facteurs explicatifs évoqués, l'utilisation des TIC revient en premier plan et aurait permis aux journalistes d'exercer leur métier dans de meilleures conditions et de transmettre rapidement l'information aux citoyens. Les moyens technologiques déployés par les différents organes de presse, l'utilisation du fax, du téléphone portable, ou encore du courrier électronique via Internet, auraient contribué à renforcer la mobilité des journalistes et à assurer une couverture « en direct » des élections, notamment dans les zones les plus reculées.
A titre d'exemple, les citoyens sénégalais avaient pu être tenus rapidement au courant du déroulement du scrutin dans les bureaux de vote et également eu l'occasion de témoigner directement, à travers les radios, des actions frauduleuses et même de quelques rares cas de violence. Les TIC auraient ainsi permis aux journalistes d'être en contact permanent avec leurs rédactions et de favoriser, par voie de conséquence, la transparence de ces élections.
Plus de 10 ans après cet événement durant lequel, l'importance des TIC a été fortement soulignée, quels usages en font les professionnels du champ médiatique ?
Nous nous intéresserons ici aux changements organisationnels relatifs à l'utilisation des TIC par les journalistes, dans les processus électoraux, particulierement durant la présidentielle de 2012.
Nous nous appuierons dans ce cadre sur une analyse documentaire approfondie sur le thème global des Médias-TIC-Politique (s), en revenant sur les caractéristiques du paysage médiatique sénégalais, ainsi que sur des entretiens semi-directifs menés entre 2011 et 2013 avec des journalistes politiques sénégalais, tout en en faisant référence à des faits observés durant la période en question.
L'utilisation des TIC, particulièrement du téléphone mobile et d'Internet, par les journalistes sénégalais, s'est faite progressivement et parallèlement au début de leur « appropriation » par le monde politique, vers la fin des années 90. C'est au cours de cette période que le fichier électoral avait pour la première fois été mise en ligne[2] et que des partis politiques[3] avaient commencé à créer des sites web pour une meilleure visibilité dans l'espace public lors des campagnes électorales, avec plus ou moins de réussite.
Leur environnement se transformant avec une libéralisation du paysage médiatique grâce à la création de groupes de presse privés (mettant ainsi fin au monopole des médias dit d'Etat) et l'accès aux nouveaux outils technologiques, les journalistes, à l'image de tout autre acteur, ne pouvaient ignorer les mutations que cela entrainerait dans leurs pratiques professionnelles. Dès lors, les vertus associées aux usages des TIC étaient de repousser les limites spatiales et temporelles, de favoriser la prise de parole, la participation politique, etc. Comme le souligne Rémy Rieffel, « l'innovation technique est perçue comme un moyen de donner corps à un élargissement des procédures de discussions par le biais de l'égalité, de la réciprocité et de l'échange généralisé »[4]. C'est ainsi qu'en 2000, les organes de presse, notamment les plus connus tels que le groupe Walfadjri, Sud Communications ou le Soleil, avaient mis à disposition de tous leurs reporters présents dans les différents départements, des téléphones portables pour tout contact avec leur rédaction centrale, afin de palier aux manques et aléas techniques relatifs à l'utilisation de téléphones fixes et télécopieurs. De ce fait, les TIC, permettait un gain de temps considérable et une économie importante sur les frais de transport. Le jour du scrutin, la téléphonie mobile a permis aux différents journalistes, principalement du secteur privé, de communiquer les tendances des résultats directement à leurs rédactions respectifs ou à l'antenne rendant ainsi quasi-impossible toute action frauduleuse qui pourrait être source de tensions. Selon l'IPAO, « l'utilisation du téléphone portable par les journalistes de la radio Walfadjri FM permit, par l'intervention en direct des reporters sur le terrain, d'assurer 46 éditions d'informations ainsi que dur direct 24H/24 le jour du second tour du scrutin »[5].
Ces outils technologiques ont également permis au Syndicat des journalistes de mettre à leur disposition des moyens de communication pour les joindre à tout moment en cas de problèmes liés à leur sécurité (pressions, menaces, agressions,...).
Après ces élections, une enquête de l'institut BDA, avait montré que les organes de presse ayant assuré la meilleure couverture médiatique étaient ceux ayant dotés leurs journalistes des moyens les plus importants. Ce fut également le cas pour la Présidentielle de 2007 avec un peu plus de visibilité des journaux en ligne, des blogs de journalistes,...
En 2012, à l'heure des Smartphones, et dans un contexte de démocratisation importante de l'accès à Internet, des réseaux sociaux, etc., de nouvelles pratiques voient le jour. Les acteurs politiques et médiatiques sénégalais sont désormais présents sur les réseaux sociaux comme Twitter et Facebook, à des degrés divers. Les uns y trouvant un moyen de rapprochement de l'élu aux citoyens, de favoriser une « démocratie électronique », etc., les autres, y voyant une façon d'exercer un métier de façon plus moderne, plus rapide, une vitrine internationale, un gage de transparence, de fiabilité, etc.
La Présidentielle de 2012 marque ainsi un moment important dans la sphère médiatique puisque les progrès technologiques ont atteint au Sénégal, à l'instar du monde entier, un niveau où les enjeux se multiplient, où l'idée du « tous journaliste »[6] pose question et la frontière entre le journalisme dit « professionnel » et le journalisme « amateur » est de plus en plus difficile à déceler. Les recherches et débats actuels sur le sujet incitent à la prudence, notamment lorsqu'il s'agit d'aborder la question des vertus et effets des TIC sur les processus électoraux de démocraties « en construction », de leurs usages et pratiques dans le champ professionnel des journalistes. Des pratiques douteuses et souvent la tentation à l'extrapolation de la part d'un certain nombre de professionnels de l'information et de la communication interrogent sur leur responsabilité, leur éthique et déontologie, leur statut, etc. face à l'essor grandissant des TIC.
PLAN DE COMMUNICATION
INTRODCTION
I/ LA LIBERALISATION DU PAYSAGE MEDIATIQUE SENEGALAIS
II/ DE LA TELEPHONIE MOBILE A INTERNET, UNE EVOLUTION DES PRATIQUES JOURNALISTIQUES ?
III/ USAGE (S) DES TIC, GAGE DE TRANSPARENCE EN PERIODE ELECTORALE ?
CONCLUSION
[1] ARTP, Septembre 2013
[2] Le fichier électoral avait été mis sur Internet pour les élections législatives de 1998 dans le but de favoriser la transparence et d'éviter les troubles post-électoraux (IPAO)
[3] Moins de 10 partis politiques en ligne sur un peu plus d'une soixante, avec l'initiative de militants de la diaspora
[4] Rieffel R., Que sont les médias, Editions Gallimard, 2005.
[5] IPAO, Médias et élections au Sénégal, la presse et les NTIC dans le processus électoral, NEAS, 2001
[6] Pélissier, N. et alii, « Tous journalistes : les établissements de formation au défi du web participatif », Les Cahiers du journalisme
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