Vingt ans d'équipements TICE, en Europe et en France[1], n'aboutissent pas à des changements de pratique forts et de nouveaux usages de formation généralisés, mais plutôt relativement modestes au regard des ambitions du C2i2e (Bessières, 2012). Nous avons pu montrer qu'en 2012 d'une certaine façon, l'État devant de cette lenteur des évolutions des pratiques, désormais vise à changer la professionnalité pour les nouveaux enseignants par les nouvelles modalités d'autorisation des universités à délivrer le C2i2e devenu obligatoire pour une titularisation des nouveaux enseignants du secondaire. Notre objet d'étude au cours de cette communication vise à pointer les enjeux de modernisation professionnels, organisationnels, au travers de la politique publique du C2i2e.

Plus précisément notre problématique vise à montrer dans quelle mesure la certification validant l'utilisation professionnelle des TIC pour l'éducation et plus largement les TICE peut être analysée comme support de messages de modernisation managériale inspiré des entreprises : recherche de décloisonnement et d'innovation, d'un travail collectif et collaboratif. En cela se sont des outils de management, c'est à dire de gestion des hommes et de coordination. Il nous semble que ces évolutions attestent un changement de paradigme d'inspiration entrepreneuriale des politiques publiques que nous caractériserons. Les TICE ont des effets importants en terme de changement organisationnel. Leur efficacité étant conditionnée singulièrement par l'adoption de nouvelles formes d'enseignement, voire d'organisation à l'université (Ben Youssef et al.(a), 2009). Les dispositifs technologiques assurent souvent une fonction de médiation (i.e. médias de communication, Balle, 2013) des enjeux managériaux et de changement organisationnel. Les certifications (C2i2e) correspondent à la notion Foucaldienne du dispositif, c'est-à-dire un ensemble hétérogène de discours, d'institutions, de supports matériels, de règlements en relation les uns avec les autres (Bourdin, 2008). Elle renvoie aux notions d'usage et d'appropriation des outils à la fin des années 90 et de représentation des années 80 (Jacquinot, Monnoyer, 1999, Monnoyer 2013).

Il est intéressant à ce niveau de mesurer la prégnance des genèses d'usages. Néanmoins, actuellement, on note une reprise en main de la liberté de mise en place et d'innovation laissée aux acteurs de terrain propice à une recherche d'adhésion, singulièrement avec les procédures ministérielles d'autorisation des universités à délivrer le C2i2e..

Le champ de l'enseignement supérieur instrumenté des futurs enseignants est révélateur d'une imprégnation d'une logique managériale. Il est encore récent et remet en cause les schémas d'organisation traditionnels notamment en terme de professionnalisation et d'organisation. En ce sens, notre objet d'étude a trait à une lente normalisation en cours des contextes professionnels des futurs enseignants, c'est à dire une modification des logiques de gestion des relations internes. Cette évolution difficile peut être analysée comme une injonction paradoxale.

Le C2i2e illustre une volonté ministérielle de développer dans le temps les technologies numériques en milieu scolaire. Cette certification des compétences en TIC pour les futurs enseignants se développe en France depuis peu graduellement. Notre méthodologie d'étude de ce dispositif repose sur une première enquête nationale quantitative par questionnaires auprès des formateurs[2] (Assude et al., 2010), puis des entretiens[3] pour le recueil de discours sur les pratiques TICE dans les lieux de formation et d'enseignement. Cette recherche sert d'ancrage à une autre, plus récente, qualitative[4] auprès des universités nouvellement autorisées à délivrer le C2i2e en 2012 pour le Ministère de l'Éducation nationale qui a souhaité avoir une vision des conditions de déploiement hétérogènes sur le territoire[5] et tenter de mesurer comment ont été appropriées ces injonctions nationales localement. Il s'agit de mesurer le poids des dispositifs managériaux englobant pesant sur les activités professionnelles, à travers les discours des acteurs.

De ce point de vue, notre originalité réside pour partie dans une interrogation des conditions d'organisation de la communication, encore peu étudiée de façon systématique en croisant la sociologie des professions (Dubar, Triper) concernant le développement de pratiques sociales instrumentées en milieux professionnels plus spécifiquement abordée par les SIC. L'objectif étant d'adopter une démarche compréhensive et critique pour appréhender les ressorts des évolutions. Le travail du chercheur est essentiel pour appréhender des processus longitudinaux, en retraçant en particulier les genèses d'usages pour proposer un éclairage pluridisciplinaire de la mise en place des TICE, dont les acteurs n'ont pas toujours forcément pleine conscience. La distance du chercheur permet également de pointer que l'information et la communication peuvent être utilisés comme des instruments du management, ce que nous caractériserons au travers des évolutions des organisations sous l'effet des TIC(E), tout en pointant dans nos recherches le poids des politiques publiques dans ces secteurs professionnels. Il s'agit de dévoiler l'influence des contextes d'action et le développement de nouveaux modes de management (nouveau management public...) axée sur le conditionnement des formes d'organisation du travail avec la prise en compte de dynamiques de résistances.

Notre plan s'attachera à montrer dans une première partie l'emprise croissante du C2i2e au travers de nos enquêtes longitudinales. Puis la caractérisation de la modernisation en terme de politique publique et de changement organisationnels. Enfin la difficulté de la professionnalisation axée sur les compétences TICE.

Bibliographie :

Alcaud D., Lakel A. (2004) « Les nouveaux « visages » de l'administration sur internet : l'accès à l'information publique, Revue Française d'Administration Publique, n°110

Barats C. (2009), Avant-propos : mutations et réformes du supérieur ou la question des finalités des politiques publiques, Quarderni

Bachelard (1993), La formation de l'esprit scientifique, Vrin

Bessières D. (2012), Sociologie de l'appropriation des TICE : peut-on parler d'une culture informationnelle partagée ou de genèse d'usage ?, Études de Communication n° 38, 2e trimestre, pp. 37-52

Bessières, D. (2010), "Les genèses d'usage professionnel TICE des formateurs d'IUFM : l'impact des dispositifs technologiques sous contraintes ?", in Communications des organisations Recherches récentes, Tome 1, Loneux C., Parent B. (dir.), L'Harmattan

de Coninck F. (2005), Les organisations fragiles, in Durand J-P & Linhart D, Les ressorts de la mobilisation au travail, Octarès

Drot-Delange B., Bruillard É. (2012), Éducation aux TIC, culture informatique, et du numérique : quelques repères historiques, Études de communication, n° 38, pp. 69-80

Dubar, Triper (2005), Sociologie des professions, 2e ed, Armand Colin, 2005

Durand JP & Linhart, D. (2005), Les ressorts de la mobilisation au travail, Octarès

Jacquinot G., Monnoyer L. (dir.) (1999), « Le dispositif. Entre usage et concept », Hermès, 25

Jouët J. (2011) Des usages de la télématique aux Internets Studies, pp. 45-90, in Communiquer à l'ére numérique. Regards croisés sur la sociologie des usages, Denouël J., Granjon F. (eds), Paris, Presse des Mines, 320p.

Monnoyer L., Le web comme dispositif : comment appréhender le complexe ?, in Barats C. (eds), Manuel d'analyse du web en Sciences Humaines et Sociales, Armand Colin, 2013