Cette contribution porte sur le rapport entre événement et journalisme, modèle moderne de médiation configurée par le médi journal quels qu'en soient les supports. Elle explore les raisons sociales de l'événement qu'elle ne réduit pas à une déraison médiatique déconnectée de son assise référentielle. Elle correspond à l'actualisation d'un ensemble de recherches sur l'événement et sur le journalisme, précisément sur l'inscription bipolaire - médiatique et sociale - de l'un et sur la dimension communicationnelle de l'autre. Il s'agit d'une problématique de l'événement journalistique qui considère que sa valeur ne lui est pas intrinsèque, même si elle est corrélée d'une manière variable à ses matérialités médiatiques et à ses matériaux signifiants. Et d'une problématique du journalisme en tant que totalité du réel placée sous la catégorie du présent et espace où se projette l'échelle mouvante des sociétés. Cette échelle inclut les deux dimensions des sociétés en tant qu'ordre et désordre, temps social et temps vécu, espace des lieux et lieu pratiqué.

Le journal, quels qu'en soient les supports, est l'incarnation d'une scansion sur l'échelle du temps et d'un déploiement pendulaire sur l'échelle de l'espace. Son édition inédite du moment relève d'une prototypie sérielle tant au niveau de sa production que de sa reproduction et de sa consommation. Sa matérialité encapsule la mobilité, dans son sens de mouvoir et d'émouvoir, et l'instantanéité, dans son sens de focalisation et de capture, d'angle perceptif et perspectif, dans une représentation en locomotion issue de et réinscrite dans des jeux d'échange, de fichage et d'affichage. Aussi, l'ordre renvoie-t-il au régime ordinaire de ces sociétés, ce qu'elles organisent, ce qu'elles prétendent être, ce qu'elles acceptent et autorisent; le désordre renvoie à ce qui relève de leur dimension justiciable, bannie et honnie, avec la dimension secrète et cachée qui lui est corollaire. C'est là que se trouve la logique tant de l'événement de routine que du fait divers ou de la crise en tant qu'événement avéré et celle de risque en tant qu'événement non avéré, objet de peu, mais aussi de statistiques et de politiques publiques de prévention et de précaution, mais également de transgression, parfois organisée et médiatiquement exposée dans un aménagement moderne de l'ordalie.

L'analyse des répercussions des techniques les plus récentes sur l'événement journalistique a le plus souvent porté sur la transformation de ses espaces de visibilité - twitter et autres réseaux sociaux - ainsi que de ses techniques d'observation et de capture - extraction, scan, ... en plus de configurer de nouvelles extensions aux lieux d'exposition et de scrutation, ces techniques opèrent des juxtapositions de calendriers, déjà amorcée avec les agences de presse, la multiplication des journaux, la radio et la télévision satellitaire en continue. Elles génèrent également des redistributions des échelles de réduction et de grandeur e l'événement, dans des modélisations qui leur sont propres, qu'elles génèrent et opèrent. A l'iconicisation de l'événement dans sa double dimension, logique et analogique - sa miniaturisation - jusque-là effectivement opérée par le journalisme, plutôt que sa reproduction purement mimétique revendiquée par celui-ci, elle ajoute un grossissement né de la focalisation non régie de la lecture et permise par la structure même du dispositif qui l'articule. Cette focalisation réinscrit l'événement journalistique dans un procès originel de préhension mu par des affinités et des intentions, des peurs, des vertus et des vices, des passions et des intérêts, où il n'est pas d'emblée donné comme un tout, mais comme une remise en ordre, un réagencement de fragments dans l'instantanéité de leur éclatement proclamatoire. Autant de coutures numériques opérées par des lecteurs variables qui circonscrivent ainsi la coupure épistémologique de l'événement et effectuent des lectures inédites, tant dans leurs raisons sociales que dans leur technicité, qui sont autan de recadrages de l'événement dont ils font, défont et refont la restitution.