Penser les techniques et les technologies : Apports des Sciences de l'Information et de la Communication et perspectives de recherches
4-6 juin 2014 Toulon (France)
Vendredi 6
Médias
médias et transformations politiques à l’ère 2.0 - discutants : Philippe Dumas, Marie-Michèle Venturini
› 10:30 - 11:00 (30min)
› Salle 320
Transformations des organisations de santé à l'heure des médias sociaux
Sylvie P. Alemanno  1, *@  , Michel Durampart  2, *@  
1 : Information I3M/EA 3820  (Information, Milieux, Médias, Médiations /EA 3820)  -  Site web
Université Nice Sophia-Antipolis; EA 3820, Université Toulon-Var
Laboratoire Information, Milieux, Médias, Médiations (I3M/EA 3820) UFR Lettres, Arts et Sciences humaines Université de Nice Sophia Antipolis 98, boulevard Edouard Herriot BP 3209 06204 Nice Cedex 3 FRANCE -  France
2 : Information, Milieux, Médias, Médiations  (I3M - EA 3820)  -  Site web
Université de Nice Sophia-Antipolis, Université du Sud - Toulon - Var
* : Auteur correspondant

Contexte. Dans un environnement numérique généralisé, les réseaux sociaux définissent de nouvelles formes de contact, de partage et de reconnaissance et s'intègrent désormais dans les stratégies organisationnelles (Balagué, Fayon, 200). Certains se déploient autour et dans les organisations alors même que les TIC ont en même temps contribué aux mutations des organisations en accélérant les logiques professionnelles de coopération et de mobilisation de l'intelligence collective et affecté aussi les espaces de discussion et de concertation structurant la vie quotidienne des organisations. (Durampart, 2009). La recomposition des temporalités et des spatialités organisationnelles, tissée et retissée par le numérique étire les territoires abolissant l'idée d'intérieur et d'extérieur créant des interpénétrations socio-organisationnelles. Les communications des entreprises marchandes sont déjà bien engagées dans ce processus de transformation numérique du zonage élargi de chalandise. Les institutions aux missions régaliennes et notamment les organisations de santé n'échappent pas non plus à ces mouvements tectoniques. Les patients jusqu'alors soumis à un environnement expert, à la culture du secret prévalente, veulent maintenant participer à la compréhension de leur état et accéder aux informations médicales. Le contexte prend une importance singulière au regard du numérique de même que le réseau social choisi qui conditionne les modalités de communication.

 

Dans celui de la santé, entre le nouveau management public et les réformes de la santé dont la loi HPST de 2009 qui imposent la norme de l'efficience, les pratiques opèrent souvent un grand écart entre les réalités professionnelles et les procédures instituées relevant des normes techniques, juridiques, économiques et financières (Le Moënne, 2005). Il s'instaure alors une tension entre recherche locale et circonstanciée de la qualité de la prise de charge des soins et l'application de l'évaluation des pratiques professionnelles. Si les TIC dans la santé émergent du processus de recomposition organisationnelle et l'accélèrent (hôpital intelligent, dossier médical en ligne par exemple). Pour autant les blogs et sites d'expression des patients sur leur maladie, sur les effets des médicaments, les conditions de la prise en charge signifient révèlent que le patient se sent soigné (cure) mais peu ou pas pris en charge (care). Il éprouve le besoin d'échanger avec d'autres patients comme le biais du Web 2.0 qui lui en donne l'opportunité (Casilli, 2010) et cherche à d'entrer dans des conversations informatives et rassurantes pour le malade. Sur ce point apparaît une rupture de la continuité communicationnelle entre les patients et les établissements, lesquels n'offrent pas de granularité, de porosité ou encore d'interface info-communicationnelles pour prendre en compte le besoin d'échanges du malade.

 

Problématique. Dans cette communication, nous voulons montrer que le système de soins confronté au numérique révèle sa clôture culturelle et son paradoxe communicationnel qui concourent à son imperméabilité face au social. Comment la complexité accrue de la gestion des flux d'informations circulantes dans et autour des organisations de santé ne les déterritorialisent-elles pas dans le vaste réseau numérique ? L'anticipation d'une maîtrise perçue comme improbable à l'approche des réseaux sociaux, s'associe-t-elle à la perspective d'un danger de dislocation imminent, d'une perte des pouvoirs (institutionnel et médical), alors même que les pratiques des soignants se trouvent re-normées ? Une nouvelle intelligence collective qui associerait les discours profanes des malades et les prendrait en compte recomposerait-elle les pratiques, la gouvernance et la (sa) politique d'établissement pour autant qu'elle s'accompagne de confiance?

 

Au plan théorique, pour penser les effets communicationnels des RS, les travaux des SIC en communications organisationnelles nous permettent d'aborder les changements des organisations de santé par l'approche morphogénétique pour l'analyse des processus info-communicationnel (Le Moënne, 2005) et par la théorie de la conversation (Cooren, 2010) afin de (pour) comprendre le phénomène de la confiance.

Au plan méthodologique, nous apprécierons l'installation d'un média social, une approche ethnométhodologique, ses écueils éthiques, et la cohérence de sa stratégie de communication. L'établissement a déjà mis en place une « commission des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge » (loi Kouchner, 4 mars 2002) où les patients ou « usagers » participent au système de santé. Nous déterminerons le changement de ces organisations de santé, organisé par la communication numérique et l'instauration de nouvelles formes de communications co-constructrices d'un environnement de santé partagé ainsi que les imaginaires associés à ces transformations. Dans les nombreux réseaux sociaux, dont Carenity, Allodocteur.com ou Auféminin.com, les patients répartis en « communautés » (Millerand et alii, 2010) peuvent échanger un vécu « de l'intérieur ». Dans le réseau social de l'entreprise, des échanges supposés « vrais » sont des conversations entre les médecins et des info-patients dont les caractéristiques numériques contribuent à l'accroissement de la complexité des communications. Ainsi la question des modalités de la reconnaissance de l(s)a parole du patient par les professionnels en charge de leur maladie reste encore entière au regard du fonctionnement du réseau choisi.

Eléments de conclusion. Pour les organisations de santé, l'utilisation de réseaux sociaux selon le type de conversation qu'ils autorisent, soulève deux interrogations majeures et potentiellement paradoxales. En effet, la circulation des flux d'informations dans le sens bottom-up constitue un danger (celui de la critique exclusive et de l'obligation de changement) mais aussi une opportunité pour l'évaluation de la qualité d'un établissement et son amélioration dans le cadre d'une transparence contrôlée par la gouvernance, favorisant l'e-réputation de l'établissement (Proulx et alii, 2012). En même temps, le réseau social d'une entreprise replace l'info-patient au cœur du dispositif de santé alors que les impératifs d'efficience l'ont relégué au rang de la gestion financière de sa maladie. Dès lors les vertus attendues (espérées) des réseaux sociaux d'entreprise, notamment dans le monde de la santé, pourraient installer un nouveau paradigme communicationnel de la relation au patient, fondé sur la conversation et sur la confiance (Luhman, 2006). Le réseau pourrait-il « réenchanter » le quotidien (Musso, 2003) de ces organisations impénétrables de la Santé et générer enfin une « confiance systémique » (Luhmann, 2006).

 

Bibliographie indicative

Balayé Christine, Fayon David (2010), Facebook, Twitter et les autres, intégrer les réseaux sociaux dans une stratégie d'entreprise, Paris, Pearson, Village mondial

Casilli, Antonio A. (2010), Les liaisons numériques, Paris, Seuil

Durampart Michel (2009), Les TIC dans les organisations : des partenaires difficiles à contrôler, Hermès, La Revue, 2009/2 n° 54, p. 221-227.

François Cooren (2010), Comment les textes écrivent l'organisation. Figures, ventriloquie et incarnation, Études de communication, no 34,‎ 2010, p. 23-40

Le Moënne Christian (2005)., Communication interne, dislocation et recomposition des organisations, in Sciences de la Société́, n° 61, 2005

Luhmann Niklas (1968-2000) La confiance, un mécanisme de réduction de la complexité sociale, Paris, Economica, 2006.

Millerand, Florence, Proulx, Serge, Rueff, Julien (2010), sous la direction de, Web social, Mutation de la communication, Québec, Presses de l'université de Québec

Musso, Pierre (2003), Critique des réseaux, Paris, puf

Proulx Serge, Millette Mélanie, Heaton Lorna (2012), sous la direction de, Médias sociaux, enjeux pour la communication, Québec, Presses de l'université de Québec


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