Dès le début des années 1970, la contestation des industries culturelles dominantes et l'aspiration à de nouvelles formes de culture ont conduit à une effervescence artistique et à une créativité nouvelle. Mais c'est depuis le milieu des années 1990 que la croissance des technologies de l'information et de la communication (TIC), entre autre par l'avènement du phénomène Internet, transforme en profondeur les formes de création, de consommation, de communication et de diffusion des savoirs.
Ainsi, les usages collectifs et en réseau sont devenus incontournables, et permettent des échanges au sein de « communautés » ou de « collectifs » d'usagers en ligne à l'échelle locale et internationale. De la même manière, le travail artistique, en devenant moins individuel et interdisciplinaire, illustre les nouvelles applications et usages sociaux de ces technologies.
C'est cette articulation originale du travail artistique et de l'innovation technologique que nous avons retenu pour illustrer et comprendre ces transformations.
Cette articulation est intéressante à plus d'un titre. D'un côté, elle montre de nouvelles techniques de création : mutations des supports artistiques, de la circulation des connaissances, des échanges au sein de collectifs... D'un autre, elle révèle des stratégies renouvelés de communication, de nouvelles formes de diffusion des œuvres vers le public, en exposition ou en marché. La qualité de la circulation des informations impacte à la fois la création et la valorisation des œuvres.
Les productions artistiques sont incomparables entre elles car elles ne peuvent pas être mises en rapport les unes avec les autres à travers des grandeurs communes : elles sont « singulières ». Leur prix n'est pas un vecteur de choix, et ne constitue pas nécessairement un signal de la qualité. L'accès au marché de l'art suppose de mobiliser un niveau élevé de connaissances sans pouvoir se prémunir des risques d'erreurs et de mauvais choix, et ce sont le plus souvent des intermédiaires qui servent d'aide à la décision, critiques, experts, réseaux...
Le marché est ici créé par les dispositifs collectifs qui impliquent conjointement utilisateurs, offreurs ainsi que l'ensemble « des professionnels du marché ». La création artistique est une « production » à la fois collective et individuelle, en ce sens que les travaux individuels identifiables s'ajoutent aux apports collectifs, et parfois dans des lieux très éloignés géographiquement.
Les travaux de sociologie des professions ont permis de questionner la manière dont un groupe construit son activité et interagit avec les autres acteurs impliqués dans son activité. Cette approche appliquée à l'art correspond à celle de l'économie des singularités, et nous montre que l'idée même d'un public comme réceptacle passif n'est pas tenable, et d'autant plus dans l'ère des réseaux numériques.
L'objet de cette communication est de montrer comment les NTIC ont transformé les pratiques artistiques en profondeur dans le processus de création, mais aussi de valorisation des productions. Il s'agira en filigrane à travers cet exemple de comprendre en quoi la modification des techniques de diffusion d'information et la communication entre tous les acteurs transforme la société, développe le jugement critique et réorganise les pratiques sociales de création.
Le travail que nous avons mené tentera donc d'apporter des éléments de réponse à la question de recherche suivante : « Comment les NTIC modifient-elles les échanges dans l'art contemporain ».
De façon concrète, il nous a donc semblé intéressant de recueillir l'opinion d‘acteurs concernés. Nous avons choisi de mener des entretiens semi-directifs auprès d'artistes et d'institutions basés dans la région PACA et sur l'aire toulonnaise.
A cet effet, nous avons élaboré un guide d'entretien qui s'articule autour de 2 thématiques principales : l'impact des NTIC dans le travail de création, et l'impact des NTIC dans la valorisation du travail produit.
Les propos des acteurs, obtenus lors d'un entretien en face à face, d'une durée moyenne de 45 minutes, ont été notés au fil de la discussion avec un souci de vérification, avec l'intéressé, de la teneur des retranscriptions. Cette méthode permet de préserver la liberté et la richesse de la réponse de l'interviewé tout en respectant les thèmes définis préalablement.
Nous ferons également un focus sur 2 projets régionnaux qui illustrent bien l'évolution permise par les NTIC du marché de l'art en un lieu d'échange toujours plus interactif.
En premier lieu, le projet Documents d'artistes a pour mission de donner à voir, à travers l'édition en ligne de dossiers monographiques, le travail d'artistes contemporains dans une région donnée. Cette ressource visuelle numérique est crée pour les artistes PACA depuis 1999. Quatres autres régions ont depuis suivi l'initiative et se sont fédérées en 2011. Il s'agit donc d'un panorama régional de la création contemporaine : les artistes ont accès à leur espace numérique et peuvent le mettre à jour régulièrement. Parallèlement on y trouve les actualités d'exposition et de résidences artistiques ainsi que des spin off.
Ces documents opèrent comme des lieux ressources, donnant accès à tous publics à une documentation professionnelle. Les équipes s'engagent dans une relation d'accompagnement à long terme des publics et des artistes en leur offrant un regard critique, une mise en perspective de leur travail, un appui technique, un soutien à la professionnalisation et une visibilité élargie. Ce travail éditorial approfondi s'accompagne d'actions pédagogiques, de médiation et de communication.
En second lieu, la Galerie Viruelle de l'association le Petit Lieu de l'Art Contemporain (PLAC), crée en 2012, permet aux artistes d'exposer leurs oeuvres au travers d'un diaporama (10 à 30 images) accompagné d'un texte. A l'instar d'une exposition palpable, celle-ci à une durée limitée (1 mois) et ne donne accès passé ce mois, qu'à un visuel de l'exposition, un communiqué de presse et les coordonnées numérique de l'artiste.
Le public numérique de l'association vient compléter celui de l'artiste mêlant la valorisation de celui-ci à celui du PLAC. L'artiste en tire de possibles ventes, expositions et recontres. L'association en tire une notoriété accru, favorisant les relations avec les institutions.
Cette solution expositive naît, dans ce cas, d'un espace physique inexistant. Ne pouvant avoir de lieu permettant d'exposer régulièrement des artistes d'horizons aussi hétérogènes, Cela donne accès à l'association à un endroit personalisable, que toute personne muni d'une connection internet peut visiter et qui ne nécessite que de très faibles financements
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Fourmentraux JP. 2006 «Soutenir l'innovation artistique à l'heure des TIC», Regards sur l'actualité, n°322, La documentation française, 2006
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