L'objet de cette communication est de questionner les dynamiques locales entourant la mise en place d'un projet technoindustriel – en l'occurrence le centre d'enfouissement de déchets nucléaires CIGEO (Centre industriel de stockage géologique) de Meuse/haute-Marne – et du dispositif de débat public mis en place par la Commission nationale du débat public (CNDP). Ce travail constitue un des volets du projet exploratoire « L'information sur le nucléaire en débats : réversibilité de la décision et (non)-publics. Autour du centre de stockage des déchets de Bure » (IDRéP), soutenu en 2013 par le CNRS (programme NEEDS) et la Maison des sciences de l'homme de Lorraine.
Cette recherche vise à enquêter sur les perceptions locales du débat public et les rapports entretenus avec lui (implication/mise en retrait, participation ou non, etc.). Pour ce faire, nous avons mis en œuvre une approche compréhensive des rationalités déployées par différents acteurs, en partant de l'idée que l'observation des pratiques et le recueil des discours peuvent permettre d'éclairer les diverses manières dont le débat public peut ou ne pas faire sens.
Notre volonté est de nous écarter du schéma linéaire de la communication qui suppose que des publics informés se doivent de réagir (positivement ou négativement) par rapport à une offre de « débat public » provenant de l'institution. Nous nous décalons donc par rapport au discours institutionnel qui présente ce dispositif comme un élément essentiel permettant à chacun de s'informer et de s'exprimer en tant que citoyen sur un projet ou sur un thème plus ou moins controversé. Car, si l'on ne retenait que cette intention, ne pas s'engager dans le débat ou le boycotter reviendrait à nier une avancée majeure de nos démocraties. Or nous refusons cette relation de causalité refus du débat/refus du progrès, car nous la jugeons trop simpliste.
Nous avons abordé ce travail exploratoire en centrant notre enquête sur les dynamiques de mises en sens en nous limitant à la zone des dix kilomètres entourant le futur lieu de stockage – que nous appellerons la zone 10. Nous avons décidé de nous entretenir avec ceux qui précisément ne s'expriment guère en public alors même qu'ils sont « les premiers concernés » : les habitants, les riverains. Depuis le milieu des années 90 les habitants de cette zone sont directement confrontés à la matérialité d'un laboratoire mis en place par l'ANDRA (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs), où sont menés travaux et recherches préfigurant le futur centre de stockage profond.
En effet, le débat public CIGEO n'arrive pas en terrain vierge. Les mesures d'accompagnement économique associées à l'installation du laboratoire de l'ANDRA ont permis une transformation partielle du paysage rural (nouveaux aménagements dans les communes, modernisation des écoles, installation de nouvelles entreprises...). En outre, ce débat fait suite à un premier débat organisé en 2005 sur la question de la gestion des déchets, qui marque une étape dans les relations qui se tissent au niveau territorial entre l'ANDRA et les habitants. De fait, le débat public de 2013 s'inscrit dans un contexte et une histoire locale, où s'enchevêtrent les représentations sociales depuis deux décennies durant lesquelles ont circulé les informations sur le nucléaire et la gestion de ses déchets, à partir de multiples sources (ANDRA, la Commission locale d'information et de surveillance – CLIS –, le premier débat public, les mouvements d'opposition, les médias, etc.). Pour toutes ces raisons, on pourrait émettre l'hypothèse que les acteurs concernés ont acquis une forme d'expertise (bien que nombre d'habitants s'en défendent).
Les résultats que nous allons présenter sont nourris d'un terrain exploratoire constitué d'une série d'entretiens avec des maires de commune et des administrés ainsi que des observations menées lors des deux premières réunions du débat public CIGEO. Les guides d'entretien prenaient pour point départ la perception du laboratoire ANDRA et du projet CIGEO, leur inscription dans le territoire. L'entretien se centrait ensuite sur les perceptions des domaines politiques et communicationnels associés et sur l'engagement ou le non engagement politique ou associatif. Nous avons également cherché à comprendre l'implication ou la non implication dans la collecte d'information et dans les débats concernant le projet CIGEO (organisés par la CNDP mais aussi d'autres débats publics organisés par le CLIS ou diverses associations).
Pour l'analyse de notre matériel nous nous intéresserons aux « sentiments » des habitants en ce qui concerne l'installation de l'ANDRA et son rôle dans l'économie et la vie politique locale, ainsi que le projet CIGEO et le débat public qui y est associé. Nous rapprocherons ces sentiments de philosophies de vie, d'attitudes générales vis-à-vis de la science et des technologies, de règles morales que chacun s'impose. Nous montrerons également qu'ils sont relatifs aux expériences concrètes issues de la présence de l'ANDRA sur le territoire. Ces multiples influences permettent de comprendre comment les habitants se construisent une attitude qu'ils jugent légitime face à l'ANDRA, face aux politiques publiques associées au projet CIGEO et face à l'organisation du débat public (dont les promoteurs ont dû modifier les modalités suite au blocage des deux premières réunions publiques). Ces premiers résultats permettront de discuter de façon critique les notions de confiance/méfiance, d'engagement, d'usage/non-usage de dispositifs communicationnels en les rapportant aux concepts d'identité culturelle, de reconnaissance et de mépris.
Références :
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