Objet et problématique
Le discours RSE des entreprises est un sujet d'analyse bien connu des SIC, en France et ailleurs (voir par exemple Gardère et Gramaccia 2005, L'Etang 2006, Catellani et Libaert 2011). Nous entendons pas RSE un « concept dans lequel les entreprises intègrent les préoccupations sociales, environnementales et économiques dans leurs activités et dans leurs interactions avec leurs parties prenantes sur une base volontaire » (European Commission Green Paper 2001 : « Promoting a European Framework for Corporate Social Responsibility », version française). Nous porterons notre attention en particulier sur les dimensions sociale (droit du travail, etc.), sociétale et environnementale (protection de l'environnement naturel) de la RSE, et sur leur présence sur l'Internet.
Plusieurs recherches ont montré que la RSE est devenue une composante centrale de la communication institutionnelle-corporate des entreprises, un domaine d'exercice d'une véritable rhétorique verbo-visuelle en plein développement et en évolution constante, une nouvelle rhétorique épidictique (de la louange, Catellani 2011). Ce discours sur la RSE fait partie des nouvelles formes de justification et de valorisation du système économique capitalistique financiarisé, qui cherche sans cesse à reconstruire son acceptabilité dans un contexte difficile. Nous faisons ici référence aux approches critiques de la communication des organisations et des relations publiques, présentes dans différents pays (Heller, Huet et Vidaillet 2013, L'Etang 2006, voir aussi Brulois et Charpentier 2013).
Différents supports et moyens de communication sont utilisés par les entreprises pour présenter leurs engagements RSE, notamment dans le cadre des médias électroniques (traditionnels ou « sociaux »). Le site corporate est sûrement un lieu privilégié, avec le rapport annuel RSE, pour le développement d'une rhétorique de l'engagement et de la responsabilité.
Notre recherche veut explorer un aspect moins analysé de cette communication de justification et de valorisation, celui de l'image visuelle. Les sciences de l'information et de la communication ont en effet moins pris en considération la dimension visuelle du discours RSE, pourtant importante (voir par exemple, pour la dimension environnementale, Janneret 2010). Les images sont ainsi un support efficace pour enrichir et nourrir le discours RSE, un ensemble de systèmes et dispositifs sémiotiques (photo, dessin, vidéo, animation, etc.) capables d'enrichir, d'humaniser et de « ré-enchanter » l'entreprise.
Nous voulons donc analyser les images visuelles qui accompagnent le discours verbal RSE dans les sites institutionnels (corporate) de quelques grands groupes français (listés dans le CAC 40), pour répondre à une question de base : existe-t-il une rhétorique visuelle spécifique de la RSE des entreprises (correspondant visuel des « éléments du langage »), et quels sont ses éléments centraux, ses invariants ? Comment cette rhétorique (plus ou moins uniforme et cohérente) se décline sur les différents plans identifiés par la sémiotique de l'image (voir la section méthodologique) ? La responsabilité des entreprises constitue une actualisation importante d'un véritable métarécit, ou plutôt une combinaison de métarécits (comme celui de l'environnement, étudié entre autres par Jalenques 2006 et 2007). Comment donc cet ensemble de possibilités de production de sens (ces métarécits de la protection de l'environnement et de la responsabilité des entreprises) trouvent une expression visuelle dans les sites analysés ? Comment la substance technique du support (l'Internet traditionnel et social) interfère avec cette rhétorique?
Notre interrogation est qualitative et interne à une approche sémiotique de la communication, qui considère le texte comme objet signifiant qui circule entre des acteurs sociaux, incorporé dans des dispositifs techniques. Le texte peut être soumis à l'analyse pour en identifier les articulations internes et la signification probable pour un lecteur « modèle », prémisse d'une étude de l'interprétation des acteurs sociaux, producteurs ou consommateurs de ces textes (Floch 1990 et 1995, Boutaud et Berthelot-Guiet 2013, Catellani et Versel 2011). Le texte est ainsi un lieu privilégié pour étudier les tendances culturelles présentes dans une société, un « pli » de la dynamique sociétale et des tendances de l'utilisation des techniques communicationnelles. L'analyse des textes produits par les entreprises est complémentaire à l'interrogation sur la production de ces textes à l'intérieur de l'organisation.
Méthodologie
La sémiotique visuelle nous offre un répertoire d'outils assez riche pour l'analyse qualitative approfondie des images (Floch 1660, Henault et Beyaert 2004). Un des intérêts de cette recherche est de montrer comment appliquer ces outils à un corpus électronique assez important, constitué d'une sélection des pages dédiées à la RSE dans le site corporate de 3 grandes entreprises françaises incluses dans la liste du CAC 40, dans les secteurs de l'énergie et de la pétrochimie (secteurs « sensibles » du point de vue environnemental et sources d'une importante production de communication RSE).
Une fois identifiés les sites à analyser et effectuée une exploration du contexte de ces sites et des entreprises impliquées (cette phase pourrait inclure aussi des entretiens exploratoires), nous procédons à l'identification des images à analyser, pour après en observer différents aspects, parmi ceux que la sémiotique post-structuraliste (inspirée des travaux de A. J. Greimas et d'autres auteurs de l'école de Paris) propose. Il s'agit notamment de quatre niveaux : la dimension plastique (couleurs, formes, positions dans l'image, positionnement de l'image dans l'espace de l'écran), la dimension figurative (les types d'objets et d'acteurs représentés), la dimension énonciative (la présence d'embrayeurs et d'autres traces du faire persuasif et énonciatif de l'instance d'énonciation), la dimension narrative et axiologique (la présence d'aspect narratifs dans les images, et donc la mise en scène de valeurs). Sur chacun de ces niveaux la recherche présente des typologies, et cherche à identifier des invariants, des « styles », des orientations (rhétoriques) dominantes, par exemple pour ce qui concerne la relation avec la réalité de l'entreprise, la mise en scène des parties prenantes destinataires de la « responsabilité », mais aussi de l'environnement naturel et des objets et espaces techniques. Ce dernier point fera l'objet d'une attention spécifique.
Notre analyse prend en considération aussi les interactions entre texte verbal et image, pour chercher à définir une typologie de modalités de combinaison de ces deux dimensions dans un environnement électronique.
Plan de la communication
- Introduction : la RSE et le discours sur la RSE aujourd'hui, son importance dans le contexte de la justification de l'entreprise et, plus implicitement, du système économique.
- Présentation de la problématique, lien avec les recherches précédentes sur la rhétorique visuelle des organisations contemporaines.
- Présentation du corpus (images visuelles dans les sites corporate des entreprises du CAC40 sélectionnées dans les secteurs de l'énergie et de la pétrochimie) et de la méthodologie (analyse sémiotique articulée par niveau).
- Présentation des résultats sous forme de typologies des outils rhétoriques et conclusions avec retour sur la méthodologie.
Bibliographie
Boutaud J. J., Berthelot-Guiet K. (2013), « La vie des signes au sein de la communication: vers une sémiotique communicationnelle », in Revue française des sciences de l'information et de la communication, n. 3
Broulois V., Charpentier J.-M., Refonder la communication en entreprise, Paris, FYP éditions.
Catellani A. (2011), « La justification et la présentation des démarches de responsabilité sociétale dans la communication corporate : notes d'analyse textuelle d'une nouvelle rhétorique épidictique », in Etudes de communication, n. 37, pp. 159-176.
Catellani A., Libaert T. (eds.) (2011), « Communication d'organisation et environnement », in Recherches en communication, n. 35, 202 pp.
Catellani A., Versel M. (2011), « Les applications de la sémiotique à la communication des organisations », in Communication et organisation, n. 39.
Floch J.-M. (1990), Sémiotique, marketing et communication, Paris, PUF.
Floch J.-M. (1995), Identités visuelles, Paris, PUF.
Gardère E., Gramaccia G. (2005), « La communication des nouvelles éthiques de l'entreprise », Communication et organisation, n. 26.
Heller T., Huet R., Vidaillet B., eds. (2013), “Communication et organisation: perspectives critiques”, Lille, PUS.
Henault A., Bejaert A. (Eds., 2004), Ateliers de sémiotique visuelle, Paris, PUF.
Jalenques B. (2006), Dire l'environnement : le métarécit environnemental en question, Thèse en sciences de l'information et de la communication.
Jalenques B. (2007), « Quand les entreprises communiquent sur le développement durable : un choix libre ou contraint ? », in Quaderni, n° 64.
Jeanneret Y. (2010), « L'optique du sustainable : territoires médiatisés et savoirs visibles », in Questions de communication , n°17.
L'Etang J. (2006), « Corporate Responsibility and Public Relations Ethics », in L'Etang J. and Pieczka M. (eds.), Public Relations – Critical Debates and Contemporary Practice, Mahwah, N.J., L. Erlbaum Ass.
Libaert T. (2010), Communication et environnement, le pacte impossible, Paris, PUF.