Parmi les nombreux dispositifs numériques introduis progressivement dans le monde de l'éducation les tablettes numériques occupent aujourd'hui une place particulière. L'appétence de ces dispositifs pour les élèves, leur généralisation dans les différentes sphères de la société ainsi que les nombreuses perspectives qu'elles semblent offrir du point de vue pédagogique conduisent de nombreux acteurs de terrain à mener des expérimentations visant à inscrire l'usage dans leurs pratiques pédagogiques. De nombreux comptes-rendus de ces expérimentations ont été publiés sur le site Eduscol entre 2010 et 2012. L'objectif de cette communication est de proposer une analyse de ces comptes-rendus. Les expérimentions concernées ont été menées dans des établissements relevant de l'Éducation Nationale en France métropolitaine, dans l'enseignement secondaire.
Le travail d'analyse que menons sur ce corpus vise précisément à questionner les usages des élèves, les usages et pratiques pédagogiques et par extension questionne la formation à la culture numérique et informationnelle à l'école : du dispositif numérique mobile à l'acquisition d' « habiletés » par l'élève, comment les concepts d'usage, de dispositif et les apports des pédagogies s'appuyant sur le numérique, nous permettent-ils de proposer une interprétation de ces expérimentations ?
Nous opérerons une lecture analytique et classificatoire des comptes-rendus les plus complets des expérimentations afin d'examiner la place occupée par le dispositif technique, les types d'usages, la place de la culture numérique. Nous présenterons le corpus étudié, puis notre analyse des objectifs, des usages et des conclusions présents dans les différents comptes-rendus d'expérimentations. Nous poursuivrons par les enjeux liés à l'introduction des tablettes, pour enfin émettre des questionnements, des critiques et d'éventuelles pistes de recherche.
Plus de la moitié des questions qui sous-tendent les expérimentations et qui sont le plus précisément formulées ont trait à des aspects techniques. Cette étude de l'usage centrée sur la technique est un déterminisme technique qui focalise l'étude sur un aspect au détriment des autres (Chambat 1994). Questionner la généalogie des usages (Jouët 2000), les usages sociaux pré-existant (Malleim, Toussaint 1994), l'imaginaire technique et social en jeu (Flichy 2008) sont autant d'éléments à envisager lorsque l'on s'intéresse à l'usage d'un dispositif, ce qui n'est pas explicitement le cas ici. Quelques comptes-rendus ont été réalisés par des chercheurs en sciences de l'éducation, donc ce sont plutôt les concepts issus de cette branche des sciences humaines qui sont sollicités, passant ainsi à côté d'une analyse complète et tangible du concept d'usage et de celui de dispositif communicationnel (Meunier 1999) caractérisé par sa mobilité et son hyperconnectivité (Paquienséguy 2007).
L'analyse des usages que l'on classe en trois catégories - pédagogiques prescrits, professionnels - des enseignants et ceux des élèves nous permettent de poser différents constats :
– La conception des cours proposés aux élèves sur tablettes numériques ne diffèrent pas d'un cours classique ou d'un cours sur ordinateur
– Les enseignants soulèvent de nombreux problèmes d'ordre organisationnel et pédagogique
– Les élèves semblent très motivés même s'ils déplorent le manque d'innovation pédagogique. Ils sont souvent plus actifs mais on constate de grandes disparités d'usage et de savoirs-faire entre les élèves.
Les usages constatés pointent les problématiques que soulèvent ces expérimentations, à savoir le manque de culture informationnelle et numérique des élèves, comme des enseignants. La culture numérique se développe aujourd'hui en parallèle de la culture informatique du fait des objets numériques plus intuitifs qui ne nécessitent pas de connaissances approfondies en informatique (Drot-Delange, Bruillard 2012). La culture informationnelle englobe la culture numérique et est questionnée par la sociologie, les sciences de l'éducation et les SIC, mais c'est au SIC d'en proposer une approche fédérante et directrice (Serres 2008) par ce que ce n'est qu'ensuite qu'une mise en pédagogie efficiente sera possible.
C'est l'alliance d'une culture numérique confirmée avec une culture informationnelle maîtrisée qui permet la création de cours et l'accompagnement des élèves dans l'appropriation de ces cultures. Cela doit constituer l'objectif principal de l' « entrée de l'école dans l'ère du numérique ». L'introduction de tablettes numériques dans l'enseignement fait émerger des enjeux forts liés au besoin d'une éducation à l'information et au numérique à l'école :
– Des expérimentations menées dans la verticalité ne peuvent être conduites dans l'esprit du « learning by doing and training » propre au numérique qui appartient à une démarche construire dans l'horizontalité. Les missions de l'enseignant documentaliste dans la mise en œuvre de pédagogies actives mérite d'être questionnées dans le cadre d'une éducation à l'information (Chapron Delamotte 2009).
– Les méthodologies présentées et les questionnements manquent d'appuis scientifiques clairs en SIC.
– Les enseignants sont au centre des expérimentations et du système éducatif si l'on se réfère à la façon dont elles sont organisées. Or il est primordial que les élèves et leurs pratiques du numérique soient intégrées de manière significative dans les études sur les usages de dispositifs numérique à l'école.
– La tablette est considérée comme un outil technique qu'il s'agit de dompté davantage que comme un dispositif complexe, autorisant ou contraignant certaines formes d'usages pédagogiques des élèves comme des enseignants. La tablette mérite d'être étudiée à l'aune du concept de dispositif.
– L'acquisition d'une culture numérique et informationnelle par les élèves comme par les enseignants ne sera opérante qu'à deux conditions : mettre en œuvre une méta-pédagogie numérique informationnelle et faire des enseignants des ingénieurs pédago-numérique ou des technico-pédagogues, capables de produire des ressources pédagogiques numériques contextualisées.
Les données rassemblées par les comptes-rendus d'expérimentation sont conséquentes et nous permettent d'analyser les usages et les dispositifs, au regard des enjeux liés à la culture informationnelle présentés ci-dessus afin de proposer des pistes d'élaboration de pédagogies numériques et informationnelles. Dans l'éventualité d'une présentation orale nous présenterons une approche pédagogique conçue à partir des usages des élèves, prenant en compte les apports des SIC, dans le but d'asseoir leur culture numérique.
Chambat Pierre (1994). « Usages des TIC : évolution des problématiques » in TIS, vol6,
n°3, 1994
Chapron Françoise et Delamotte Éric (2009). « Vers une éducation à la culture informationnelle : jalons et perspectives »,Documentaliste-Sciences de l'Information 1/2009 (Vol. 46), p. 4-11
Drot-Delange Béatrice, Bruillard Éric (2012). Éducation aux TIC, cultures informatique et du numérique : quelques repères historiques. Études de communication, 38, p. 69-80
Jouët Josiane (2000). Retour critique sur la sociologie des usages. In: Réseaux, 2000, volume 18 n°100. p. 499
Mallein Philippe et Yves Toussaint (1994). « L'intégration sociale des technologies
d'information et de communication. Une sociologie des usages », Technologies de
l'information et société, 4, 1994, p. 315-335
Meunier Jean-Pierre (1999). « Dispositif et théories de la communication», in Le
Dispositif entre usage et concept, Hermès n°25, Cnrs Edition, pp. 83-91. p. 84
Flichy Patrice (2008). « Technique, usage et représentations », Réseaux, 2008/2 n° 148-149, p. 147-174. DOI : 10.3166/réseaux. p. 147-174
Paquienséguy Françoise (2007). « Comment réfléchir à la formation des usages liés aux technologies de l'information et de la communication numériques ? », Les Enjeux de l'information et de la communication 1/2007, p. 63-75
Serres Alexandre (2008). "La culture informationnelle". Mars 2008. p. 19