Si les innovations sociales font référence à des innovations répondant à des besoins sociaux de toute nature, elles correspondent en tout cas à des interventions initiées par des acteurs sociaux et sont le fruit d'un travail collectif dont le moteur est la partageabilité et la libre transférabilité.
Le thème de l'innovation sociale est de plus en plus étudié, notamment dans les pays anglo-saxons mais reste encore marginal dans les études françaises au regard des analyses portant davantage sur les pouvoirs et les institutions.
Une des difficultés de travailler sur les innovations sociales repose sur le fait que les organisations issues du processus d'innovation sont très flexibles et qu'elles refusent tout modèle hiérarchique ou bureaucratique contre lesquelles elles s'érigent. Ceci est d'autant plus vrai lorsque celles-ci sont spontanées et ne sont pas structurées par des relations pérennes qui solidifieraient les réseaux. Lorsqu'il s'agit de développement de communautés autour d'une finalité commune portant soit, sur l'engagement environnemental, soit technologique ou social, on s'aperçoit que les jeunes générations ont pris leur place dans une société en pleine mutation technologique. En effet, la place importante prise par les technologies de l'information et de la communication (TIC) a considérablement mis en avant les compétences techniques que possèdent les « digital natives » (Prensky, 2001) pour subvenir à un besoin, apporter une solution ou profiter d'une opportunité d'action afin de transformer les relations sociales, de modifier un cadre d'action ou proposer de nouvelles orientations culturelles.
L'analyse que nous proposons s'intègre dans un travail de recherche plus large concernant les approches collaboratives citoyennes sur le concept du "do it yourself" ou "do it ourself", développé par Eric Von Hippel (Von Hippel, 2005), portant ici principalement sur le recyclage et le façonnage d'objets dont la dimension environnementale est prédominante. Dans cette optique, la participation et l'échange de savoir-faire constituent la clé de voûte des structures que nous avons choisies d'étudier.
Dans cette analyse sur les innovations sociales portées par les citoyens dont nous ferons un focus particulier sur les jeunes générations, nous nous intéresserons particulièrement aux faclabs, sortes de « tiers lieux » (Oldenburg,1989) qui sont des laboratoires d'expérimentations créés dans le sillage des fab labs mais destinés aux étudiants universitaires. Ils sont considérés, tel qu'il est mentionné sur le site internet du faclab de Cergy-Pontoise, comme des « Laboratoires de Fabrication (certains disent Laboratoires Fabuleux...), et qui sont des lieux regroupant toutes sortes d'outils où il est possible de passer de l'idée à l'objet. Ces ateliers sont ouvert à tous, petits et grands, néophytes et experts, pour expérimenter, apprendre, fabriquer ensemble et partager les savoir- faire »[1].
Ces formes d'expérimentation sont considérées comme des innovations sociales dans la mesure où elles sont issues des besoins des acteurs à vouloir partager et échanger des connaissances techniques en dehors des schémas habituels de transmission de l'information et de la connaissance.
Or, une des particularités de ces faclabs est qu'ils relèvent de structures traditionnelles telle l'université dont l'influence pédagogique doit être exclue dans le fonctionnement de ces nouvelles structures.
Ainsi, de quelle manière les jeunes étudiants peuvent-ils s'approprier de nouvelles formes d'acquisition des connaissances et de savoir-faire et adopter de nouvelles pratiques dans un cadre très normé ? En quoi les faclabs permettent-ils de générer chez les jeunes générations des pratiques du "do it yourself" grâce aux nouvelles techniques de communication ?
Pour rendre compte de ces pratiques, nous avons distingué deux niveaux d'analyses : celui des déterminations sociales qui offrent des opportunités, celui du sens vécu de ces pratiques et des intentions conscientes ou inconscientes qui les dynamisent. Au niveau des Faclabs, leurs conditions d'utilisation marquent des particularités (reconnaissance, intentions, usages des TIC), des moments de pratiques dans la vie universitaire, des regroupements, des processus de socialisation.
Les grandes lignes du dispositif éthnométhodologique reposent sur :
- L'analyse du processus de production et de diffusion des savoirs mis en œuvre dans les faclabs par les étudiants et les professionnels.
- L'analyse des discours d'accompagnement concernant l'utilisation des TIC
- La réalisation d'entretiens dans plusieurs faclabs auprès des utilisateurs sur leur biographie, leurs réseaux sociaux, leur ressources techniques et financières, leur raison d'agir
- L'analyse enfin de la façon dont les utilisateurs se présentent dans les wikis et organisent le lien entre créateurs sur leurs sites internet, blogs etc.
En effet, le propre d'un fab lab ou d'un faclab selon Fabien Eychenne fait suite à l'internet. Tout comme le web collaboratif, ces ateliers de fabrication démocratisent les outils de partage, d'édition et de création, permettant à des millions d'utilisateurs de se rendre acteurs. « La fabrication numérique et personnelle doit offrir la possibilité au plus grand nombre de devenir « auteur » des technologies (Eychenne, 2012, p.13).
Nous pourrons ainsi à partir des indices de cette étude de cas illustrer la place des jeunes dans ces dispositifs institutionnels avec leurs pratiques nouvelles ou non observées. Valider l'importance donnée à « l'être ensemble », le recours aux nouvelles technologies de l'information et de la communication en tant que vecteur d'empowement au sens de Marie Hélène Baqué et Carole Biewener (2013), et mettre en relation ces éléments avec l'analyse des discours sur les effets et les limites de ces innovations sociales que sont ces faclabs (effet auto-réalisateur, discours de la compétence et de l'autonomie entre autres).
Références bibliographiques
Baqué Marie-Hélène, Biewener Carole, 2013, L'empowerment, une pratique émancipatrice, La Découverte, coll. « Politique et société »
Eychenne Fabien, 2012, Fab Lab : l'avant-garde de la nouvelle révolution industrielle, FYP Éditions, coll. « "La fabrique des possibles" »
Oldenburg Ray, 1989 The Great Good Place : cafés, coffee Shops, Community Centers, Beauty Parlors, General Stores, Bars, Hangouts and How They Get You Throught The Day, Paragon House
Prensky Mark, 2001, "Digital Natives, Digital Immigrants Part 1", On the Horizon, Vol. 9 N°5, pp.1-6
Von Hippel Eric, 2005, Democratizing Innovation, MIT Press, Avril 2005 (à lire sous licence CC http://web.mit.edu/evhippel/www/democ1.htm)
[1] http://www.faclab.org/ consulté le 14 novembre 2013