Si les recherches en sciences de gestion, en général, et en systèmes d'information, en particulier, dans les pays développés- leaders en termes de créativité et d'innovation technologique- se focalisent dans leur majorité sur la question des usages et d'appropriation des TIC- où l'accent est mis surtout sur l'analyse du processus d'appropriation des outils techniques par les individus ou les groupes d'individus, dans une logique processuelle et interactionniste-, et qui semblent dépasser dans une certaine mesure les logiques de diffusion et d'adoption, il n'en est pas de même pour les pays en voie de développement , où les faibles taux d'équipement et de pénétration des TIC dans l'économie font que ces questions se posent avec acuité. En effet, ces pays souffrent de fait d'une double fracture numérique-première et seconde (T. Pénard et R. Suire, 2009). La première caractérise l'écart entre ceux qui ont adopté ces technologies et ceux qui ne l'ont pas encore adoptées. La seconde, quant à elle, s'applique aux adopteurs qui maitrisent mal les usages liées à ces mêmes technologies par rapport à ceux qui les approprient bien (T. Pénard et R. Suire, 2009). Ce constat semble être bien vérifié également au niveau des entreprises qui, en dépit de leur large accès aux nouvelles technologies de l'information et de la communication-se manifestant notamment par le volume important de ressources déployées pour l'acquisition et la diffusion des solutions technologiques-, peinent à en faire des usages innovants pour bien les approprier et en tirer parti. Ce qui a poussé nombre de chercheurs et d'experts à qualifier ce contraste entre le degré d'équipement technologique et leur usage de fracture numérique. A ce propos, une étude réalisée par le FEMISE[1] sur la diffusion des TIC dans les pays du sud méditerranéen- intégrant le Maroc, la Tunisie, l'Egypte et la Turquie-, révèle un écart flagrant entre le niveau d'équipement en TIC des entreprises et l'appropriation de ces technologies ; souvent les TIC sont réduites à des fonctions bureautiques et leurs usages n'intègrent pas les différentes fonctions de l'entreprise, et en somme l'introduction de ces technologies obéit beaucoup plus à une logique de circonstance qu'à une logique stratégique (Bellon et al. 2004, 2006 et 2007). Cet état des lieux caractérise également les pays du monde arabe, qui souffrent à leur tour de la fracture numérique, se traduisant par un faible développement des TIC dans l'économie (K.Touati, 2010).
L'Algérie, étant un pays sud méditerranéen en voie de développement, et faisant face à de nombreux défis -coopération euro méditerranéenne, libéralisation économique, adhésion à l'OMC, diversification économique, mise à niveau des entreprises, etc.-, a entrepris, il y a quelques années, des projets d'investissement ambitieux, visant à moderniser son économie par le biais des TIC, à travers notamment la mise en place de cyber parcs-véritables vecteurs de diffusion des technologies de l'information et de la communication au service des entreprises- ou encore le lancement de différents programmes destinés à encourager l'utilisation des TIC par la population- exemple du projet ousratic, consistant à équiper chaque famille algérienne par un PC. Par ailleurs, ces programmes ont été complétés récemment par une stratégie, menée par le ministère de la poste et des technologies de l'information, baptisée « E-Algérie 2013 », dont on peut saisir les soubassements à travers ce passage : « Les instruments de gestion et de gouvernance développés autour des TIC constituent aujourd'hui les seuls garants de la survie de nos entreprises à l'heure de la mondialisation. Avec l'Internet, le marché est devenu global dans une économie où la Connaissance est une valeur principale. L'utilisation des TIC est devenue nécessaire pour augmenter la performance et la compétitivité des entreprises et les faire bénéficier des opportunités offertes par un marché plus vaste et hautement dynamique. Elle conduit aussi à de nouvelles sources de revenus, à l'amélioration des relations avec les clients et partenaires, et de façon générale à une meilleure efficacité grâce à l'emploi de systèmes de gestion des connaissances. C'est ainsi qu'un axe majeur a été défini, à savoir l'intégration des TIC dans le secteur économique et le soutien à l'appropriation des TIC par les entreprises. ».[2]
Problématique :
Cependant, en dépit des efforts sus cités, il faut admettre que l'Algérie ne fait pas mieux que ses voisins méditerranéens, en matière de TIC et elle est encore loin de tirer parti du potentiel de ces technologies. En fait, malgré que le nombre d'internautes a été multiplié par 17 en huit ans, passant de 200 000 en 2001 à 3,5 millions en 2008 selon la CIA (Central Intelligence Agency) (K.Touati, 2010), l'ancrage de l'Internet dans l'économie demeure faible et son impact sur l'industrie très limité (Benabderrahmane, 2012). A ce propos, le rapport global sur les technologies de l'information (Global IT Report 2012)[3] classe l'Algérie à la 140ème place en termes d'usage de TIC en économie sur un total de 142 économies. Par ailleurs, l'étude du CREAD[4](2008) sur les indicateurs de TIC en Algérie, ne vient que conforter ces constats. Ainsi selon celle-ci, en termes d'indicateurs d'usage d'Internet, seul 58,2% des entreprises disposent d'adresses électroniques, tandis que 29,4% seulement d'entre elles ont des sites Web.
Sur un autre registre et à un niveau microéconomique, une étude de Nafaa (2011), portant sur l'appropriation des TIC par les jeunes entrepreneurs algériens, a démontré que la majorité de ceux-ci reconnaissent le rôle important de ces technologies dans la performance de leurs entreprises. Mais pour autant, ces chefs d'entreprises font preuve d'un usage limité de TIC dans leur travail. En guise d'interprétation de ce phénomène, Orlikowski (2008) parle de technologies d'adhésion pour qualifier les technologies que les entreprises achètent et installent dans les usines, comme les modules intégrés de matériel et de logiciels qui comportent un ensemble de caractéristiques prédéfinies, par opposition aux technologies d'usage qui sont utilisées réellement ; et les entreprises ont tendance à privilégier les premières au détriment des deuxièmes, ce qui explique la majorité des échecs des projets informatiques .
Donc au vu de tous ces chiffres et résultats, il apparait que les entreprises algériennes adoptent, dans une certaine mesure, un certain type de TIC -au travers notamment la consommation et l'acquisition d'équipements et de solutions informatiques divers-, sans qu'elles en fassent des usages susceptibles de contribuer à leur performance. Et le Global information technology report[6] qui classe l'Algérie à la 142ème et dernière place, en termes d'impact des TIC sur les nouvelles formes organisationnelles, est très illustratif à ce titre. A partir de là, et pour paraphraser Orlikowski, nous pourrons avancer comme hypothèse que ces dernières(les entreprises algériennes) se focalisent davantage sur les technologies d'adhésion. Or les technologies de l'information en soi ne permettent pas de la productivité, seul leur usage leur procure de la valeur. Ceci étant, la question d'adoption et d'usage des TIC est clairement posée, dans ces conditions.
En s'appuyant sur une revue de littérature-essentiellement des articles de revues académiques des domaines des systèmes d'information et des sciences de gestion - traitant des concepts d'adoption et d'usage des TIC par les organisations , en général, et les entreprises des pays du Maghreb et de l'Algérie, en particulier, le présent travail met le point d'abord sur le phénomène de la fracture numérique qui caractérise l'économie algériennes à l'ère de l'économie fondée sur la connaissance ; ensuite il enchaine sur l'état de l'art en matière d'adoption et d'usage des TIC au niveau de ces dernières pour mettre en exergue l'absence d'usages d'exploration- au sens d'usages innovants – associes a ces technologies.
Bibliographie :
1-Bellon.B et al. « La diffusion des TIC comme technologies génériques en Méditerranée : Dividendes ou fractures numériques ?- Rapport Général », FEMISE, juin 2004.
2-Bellon.B et al. « Le maillon manquant entre adoption et usage des TIC : Une étude portant sur les fonctions managériales dépendantes des nouvelles technologies dans les économies du sud Méditerranéen », in Revue française de gestion n°166/2006.
3-Bellon et al. «Les capacités d'usage des TIC dans les économies émergentes », Revue tiers monde octobre-décembre 2007.
4-Benabderrahmane.Y, Management des connaissances, déploiement des TIC et GRH des
organisations : cas de l'Algérie, thèse de doctorat en science de gestion, université Montpellier III, mars 2012.
5-CREAD, étude sur les indicateurs des TIC en Algérie, Alger 2008.
6- Soumitra Dutta and Beñat Bilbao-Osorio, the Global IT Report 2012, Genève 2012.
7-Nafa.A, « Appropriation des TIC par les jeunes entrepreneurs Algériens: Enjeux et perspectives », in entrepreneurial practice review, volume 1issue4winter2011, Québec.
8- W.Orlikowski, l'art du management de l'information, in les échos 2008.
9- T. Pénard et R. Suire, « L'économie numérique : un nouveau levier de croissance pour les économies émergentes ? » CREM, Université de Rennes 1, Marsouin Avril 2009.
10-Touati.K, « Appropriation des TIC par les pays arabes : difficultés d'adoption ou sources de développement ? », in mondes en développement volume38-20
[1] Forum euro méditerranéen des instituts économiques.
[2] E-Algérie2013.
[3] The global information technology report 2012, accessible sur: www.weforum.org/gitr.
[4] Centre de recherche en économie appliquée pour le développement(Algérie).
[5] W.Orlikowski, l'art du management de l'information, in les échos 2008.