Problématique
Cette communication s'inscrit dans le cadre du projet IDRÉP[1] qui porte sur le rôle de l'information dans la (non) participation du public aux choix technoscientifiques. Suite aux différentes lois concernant la gestion de déchets nucléaires (loi 1991, loi 2006) et la mise en place d'un débat public dans le cadre des projets d'aménagement ou d'équipement sur l'environnement (loi 1995), l'Agence Nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) propose le projet de construction d'un centre industriel de stockage profond et réversible de déchets radioactifs (Cigéo). Dans le cadre de ce projet, la Commission Particulière du Débat Public (CPDP) est chargée d'organiser le débat public sur Cigéo en 2013. Ce débat n'a pas pu avoir lieu sous la forme initialement prévue de 14 réunions publiques ; il est finalement mené sur internet. Dans ce cadre, il convenait de s'interroger quant au rôle des médias « traditionnels » dans le (non)débat public sur Cigéo[2].
Méthodologie
À cet effet, un corpus exploratoire constitué de 100 articles de presse (PQN et PQR), 38 bulletins d'information et d'émissions radiophoniques (France Info, France Culture, France Inter) et six reportages télévisés est analysé (France 3, TF1). L'analyse est réalisée en deux étapes. La première étape consiste en une analyse de contenu assistée par ordinateur (Atlas.ti) afin d'identifier : (a) le rôle que les médias s'octroient (informateurs, acteurs ou facilitateurs du débat) au travers des genres journalistiques les plus utilisés ; (b) les acteurs sociaux qui ont le plus d'accès aux médias en tant que sources journalistiques (responsables du projet, opposants, spécialistes) ; (c) les thèmes traités par les médias lorsqu'il s'agit du Cigéo et du débat public. La deuxième étape, qualitative, permet de revenir sur les cas où les médias agissent comme un espace public dans lequel les acteurs du débat mènent la discussion ainsi que sur la « lutte définitionnelle » menée à travers certaines désignations utilisées par les responsables du projet et par les opposants pour se référer au centre de stockage géologique et au débat public.
Résultats préliminaires
Les premières observations suggèrent que les médias revendiquent essentiellement leur mission d'informateurs et que leurs informations se basent principalement sur le discours des responsables du projet Cigéo (ANDRA) et du débat public (CPDP). Ainsi, la voix d'experts indépendants ou celle des citoyens est beaucoup moins sollicitée. D'ailleurs, tous les opposants n'ont pas la même visibilité médiatique. Ceux qui ont comme stratégie d'empêcher le débat public sont plus visibles dans les médias que ceux qui ont décidé de se servir de ce débat pour placer sur l'agenda médiatique des thèmes qui autrement seraient négligés.
En outre, les médias nationaux accordent moins d'importance au projet Cigéo et au débat public que la presse régionale. Les médias nationaux proposent un cadrage plus global et fournissent davantage des explications générales sur ce qu'est Cigéo tandis que la presse régionale, notamment celle de la région concernée (Meuse et Haute-Marne), propose un cadrage plus approfondi et fait un suivi plus régulier du Cigéo et du débat public.
L'analyse qualitative montre que les médias sont aussi un lieu où des conflits discursifs sont menés, par exemple concernant la manière de se référer au Cigéo. En effet pour les opposants et certains journalistes, il s'agit d'un « centre d'enfouissement » ou d'un « cimetière » ou d'une « mausolée nucléaire », désignations que les responsables n'utilisent jamais. Les opposants contestent ainsi ce qu'il y a derrière l'appellation officielle du Cigéo. Deuxièmement, la façon de se référer au débat public et de définir ce qu'est un « débat » permet de comprendre le refus d'une partie des opposants à participer au débat. Pour ces derniers, le débat public est « bidon », car « débattre, c'est lorsqu'on discute et qu'après on décide », alors que cela ne se passe pas de la même manière avec le débat organisé par la CPDP. En effet, certaines interventions des représentants de l'ANDRA et de la CPDP confirment que le débat public n'est pas prévu pour décider avec le public. Avec ce débat, il s'agit « d'informer le public » et de faire une « photographie des arguments » qui circulent. Il y a donc un problème avec la désignation « débat » et ce qu'elle signifie pour les acteurs sociaux concernés. Déjà la littérature existante sur les débats publics en France avait constaté que le mot « débattre » est polysémique. Il peut renvoyer aux notions de discussion, délibération, négociation (Weill, 2009). Différentes études s'intéressant aux débat publics (Blatrix, 2002 ; Romeyer, 2009) ont montré que les débats fonctionnaient comme un instrument de légitimation de l'action publique et de neutralisation de la contestation.
Plan de la communication
La présentation de cette étude sera l'occasion d'approfondir l'analyse sur la base des résultats préliminaires. Après une brève introduction sur le contexte, nous préciserons notre problématique et expliquerons la méthodologie employée, pour nous concentrer ensuite sur les résultats obtenus. Une attention particulière sera donnée aux stratégies déployées par les acteurs du débat pour mener le débat à travers les médias et la discussion portera sur le rôle des médias traditionnels, alors que le débat public de la CPDP a été mené exclusivement sur internet.
Références bibliographiques
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[1] L'information sur le nucléaire en débats : Réversibilité de la décision et (non)-publics. Autour du centre de stockage des déchets de Bure. http://www.msh-lorraine.fr/index.php?id=701
[2] Cette étude offre une approche complémentaire aux études qui analysent le débat institutionnel sur internet (Weill, Masseran) et les (non)publics du débat sur Cigéo (Chavot, Simon).