Les nouvelles technologies séduisent en proposant des moyens de plus en plus performants pour communiquer, pour s' informer et s' exprimer. Internet, le cyberspace, l'intelligence collective constituent alors le cadre physique et conceptuel à l'intérieur duquel notre expérience du monde se renouvelle de manière inédite. Si nous avons acquis de nouvelles capacités communicationnelles, est-ce que nous avons pour autant changé notre façon de nous mettre en relation avec les autres, dans les communautés et les sociétés ? Ces nouveaux médias nous offrent-ils l'occasion d'une expérience augmentée, capable de forger différemment nos identités et de nous permettre une communication enrichie, plus libre car marquée par une espèce d'anonymat ou de signature par acronymes ou nicknames ? Si la réponse, comme nous entendons le montrer, est positive, alors il faut s'interroger sur un éventuel changement aussi de l'efficacité de nos échanges. Si la notion d'amitié, par exemple, a beaucoup évolué depuis la conception aristotélicienne, elle est aujourd'hui de par sa manifestation sur les réseaux sociaux, le critère qui nous admet ou non dans un cercle, certes virtuel, d'amis tout aussi virtuels. Néanmoins cette « amitié » qui s'exprime par « j'aime ou j'aime pas », sans besoin d'un grand apparat de motivations ou d'argumentations, est le point de départ de relations virtuelles, comme c'était le cas auparavant pour le regard.
L'expression du « I like » est-elle suffisante pour créer du lien social, de la solidarité ? La réponse dépend sans doute de l'enjeu en cause. Si la tuerie de braqueur de Nice a soulevé plus d'un million d'adhésion et de soutien sur Facebook, on s'attendrait à une réponse positive, à une solidarité exprimée virtuellement sans rentrer dans le vif de la question de la légitimité de l'acte (pour l'instant). Mais si on considère que la manifestation « réelle et physique » organisée en soutien du bijoutier a rassemblé « seulement » un millier de participants, alors il est inévitable que quelque chose dans notre participation à la vie sociale a changé. Faut-il donner plus de poids à la réalité des faits (manifestation en place) ou aux faits exprimés de façon virtuelle (soutien sur Facebook) ?
Cet exemple, sur la nature duquel nous ne rentrerons pas, est indicatif de l'écart entre réel et virtuel que notre société produit par ses nouveaux dispositifs de communication. Mais il est aussi le point de départ pour réfléchir aux nouvelles possibilités d'affirmation et d' expression de soi que Internet permet de manifester. Y a-t-il alors une nouvelle place et une nouvelle forme virtuelles où les individus peuvent communiquer et exprimer leurs convictions et valeurs ? Et si d'un fait divers on passait au politique ? Quels seraient les effets d'une telle nouvelle modalité d'expression ? Les réseaux horizontaux peuvent-ils concurrencer voire contester les formes de la démocratie représentative ? Nous pensons alors prendre en considération le cas du mouvement italien "5 Etoiles" de Beppe Grillo qui illustre bien les possibilités d'un changement de paradigme de participation à la vie politique. Né sur le web sous forme d'un blog, le mouvement "5 Etoiles" vise à l'anéantissement du système politique des partis perçus comme les détenteurs et les porte-paroles des intérêts communs. En effet, Grillo refuse le nom de parti pour son mouvement car il souhaite que tous les citoyens puissent s'exprimer librement et directement, en participant au processus législatif. Il n'est pas sans intérêt que son mouvement ait obtenu le même pourcentage que les partis traditionnels. A quoi doit-on ce succès ? Peut-on dire seulement que les italiens n'ont plus confiance (et à juste titre) dans leur classe politique ? Ou, bien plus en profondeur, peut-on y voir un nouveau moyen de participation politique que seule la montée en puissance des réseaux sociaux a permis ?
L'enveloppement réticulaire (P. Musso) a donc imprégné la société et toutes ses composantes et modes opératoires, et/ou organisationnels. Le dispositif technique d'internet contraint à réinterpréter tous les objets sociaux existants et contribue à un certain type d'évolution sociale que nous ne pouvons pas encore évaluer sur la longue durée mais qui d'ores et déjà semble entrainer un changement de paradigme de la socialité et de la citoyenneté. Le changement social promis par les nouvelles technologies (réseaux sociaux, ou plus largement Internet) aura sans doute un impact sur notre façon de vivre ensemble et créera sans doutes de nouvelles pratiques de la gestion de la chose publique.
Le politique et la politique se retrouvent bouleversés. La plateforme planétaire permet aujourd'hui des mouvements politiques impensables il y a quelques années. Il s'agit des mouvements politiques qui se forment en dehors des partis politiques traditionnels auxquels ils opposent une nouvelle forme de démocratie. La notion de représentation politique, fondement de toute doctrine politique traditionnelle, cède la place à la manifestation directe de la volonté du peuple "rousseauiste". Ainsi, ces mouvements sont fortement critiqués par la classe politique dominante, très attachée à son ancien modus operandi, et qui craint la perte de son statut. Si à travers le web tout le monde peut s'exprimer en faisant remonter son opinion, alors les mécanismes classiques parlementaires qui reposent sur la représentation et sur l'intermédiation politique risquent de devenir obsolètes. Mais comment être sûr que le citoyen puisse toujours appréhender dans l'immédiateté et l'interactivité des dispositifs communicationnels l'intérêt général ? De plus, tous les citoyens peuvent-ils vraiment faire remonter leur opinion ? Comment ne pas craindre qu'une poignée de gérants d'internet ne confisque ou ne manipule pas la démocratie ? Le mouvement italien 5 étoiles de Beppe Grillo est un cas exemplaire de cette tendance politique, unique en Europe si l'on remarque qu'il a obtenu plus de 25% des voix aux élections politiques italiennes, arrivant à égalité avec les partis traditionnels de droite (Berlusconi) et de gauche (Bersani). La communication politique se rend, à son tour, de plus en plus attentive aux attentes de la population, caressée par des pages Facebook, qui donnent l'illusion d'un contact direct avec des élus politiques. Par conséquent, les politiciens soignent particulièrement leur communication assurant par la mise en scène numérique, une dématérialisation de leur corps au prix d'une absence matérielle sur le territoire de leurs mandants.
En reprenant les notions d'intelligence collective, de réseaux sociaux, cette communication vise donc à montrer l'émergence d'une nouvelle socialité et d'une nouvelle citoyenneté grâce aux instruments propres de la sciences de la communication. Au delà du phénomène italien, il s'agit d'envisager les changements sociétaux que le politique devra affronter dans le futur, en s'opposant à une élite forte de son pouvoir, mais affaiblie dans sa base de légitimation.
Plan de la communication :
- Introduction : Internet, le cyberspace et l'intelligence collective
- Les réseaux sociaux et le politique.
- Le cas du Mouvement 5 Etoiles de Beppe Grillo en Italie
- Vers un changement de la participation politique : de la manifestation en place au soutien numérique des réseaux sociaux
- Une remise en cause de la classe politique ou une nouvelle forme de démocratie sans tomber dans le populisme ?
- Conclusion : les nouvelles technologies accordent à chaque individu une nouvelle place dans la politique et dans le politique
Bibliographie :
Roberto Biorcio, Paolo Natale, Politica a 5 stelle. Idee, storia e strategia del movimento di Grillo, Feltrinelli, 2013.
Dominique Cardon, La démocratie internet. Promesses et limites, Seuil, 2010.
Nicolas Colin, Henri Verdier, L'âge de la multitude. Entreprendre et gouverner après la révolution numérique, Armand Colin, 2012.
Vilem Flusser, La civilisation des médias, Circé, 2006.
Alessandro Lanni, Avanti popoli ! Piazze, tv, web: dove va l'Italia senza partiti, Marsilio, 2011.
Pierre Musso, Réseaux et société, PUF, 2003.
Bernard Stiegler, Réseaux sociaux. Culture politique et ingénierie des réseaux sociaux, Fyp éditions, 2012.
Serge Tisseron (dir.), Subjectivation et empathie dans les mondes numériques, Dunod, 2013.
Stéphan Vial, L'être et l'écran. Comment le numérique change la perception, PUF, 2013.
Harrison C. White, Identité et contrôle. Une théorie de l'émergence des formations sociales, Editions EHESS, 2011.
