Penser les techniques et les technologies : Apports des Sciences de l'Information et de la Communication et perspectives de recherches
4-6 juin 2014 Toulon (France)

Actes - Consultation par auteur > Leroux Erick

Jeudi 5
Education et apprentissage
Usages des Tices - discutant : Jérôme Valluy
› 9:00 - 9:30 (30min)
› Amphi 200
L'enseignement numérique, un acte de communication : de la transmission à la « relation virtuelle »
Denis Benoit  1@  , Erick Leroux  2@  
1 : Laboratoire d'Etudes et de Recherches Appliquées en Sciences Sociales  (LERASS)  -  Site web
Université Paul Valéry - Montpellier III : EA827, Université Toulouse le Mirail - Toulouse II, Université Paul Sabatier [UPS] - Toulouse III, Université Paul Sabatier (UPS) - Toulouse III
Laboratoire d'Etudes et de Recherches Appliquées en Sciences Sociales -  France
2 : UMR CNRS 7234
(UMR CNRS 7234

Relativement à la problématique « Que font les technologies d'information et de communication à la société ? Comment transforment-elles notre façon d'être ensemble, d'échanger ou de nous diviser [...] [notamment] dans les espaces multiples d'apprentissage », notre proposition de communication se situe au cœur de l'axe 3 « Education et apprentissage », et se propose effectivement d'envisager certaines des questions listées, du type : « si on prend le cas de la France [...] les universités rêvent de cours médiatisés. [...] Que deviennent les enseignants, les élèves [les étudiants] et la connaissance? ».

A l'heure où le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche dévoile le plan numérique destiné à accélérer la « révolution numérique » dans le supérieur – « les cinq prochaines années verront exploser le marché mondial de l'e-éducation », « aux Etats-Unis 80 % des établissements disposent de cours en ligne », « depuis quelques mois, un nouveau MOOC est lancé presque chaque jour », relève-t-on par exemple dans le journal Le Monde (octobre 2013) –, et où s'ouvre « France Université Numérique », la première plateforme française de cours en ligne (http://www.france-universite-numerique.fr/), c'est – évidemment, pourrait-on dire... – plus que jamais que thuriféraires et contempteurs s'affrontent sur le rôle et la place du numérique à l'Ecole et à l'Université. D'une façon générale, pour les premiers, l'Ecole et l'Université doivent se saisir du « changement de civilisation » qui émerge car, avec la « révolution du numérique », les élèves et les étudiants ayant, de fait, directement accès à des masses colossales d'information, l'enseignant ne peut plus se contenter d'être – à l'instar de celui qui, à l'époque, « seul dépositaire du savoir », « debout sur l'estrade », « dictait son cours devant un amphithéâtre » – un simple « passeur de connaissances », sa véritable valeur ajoutée résidant ailleurs, soit « dans l'accompagnement et le tutorat. Il doit être un coach et un animateur de communauté, qui apprend aux étudiants à travailler sur les connaissances » ; en bref et autrement dit, l'enseignant pourrait enfin se concentrer sur le « cœur de son métier » : « développer l'analyse, le jugement, la réflexion, et utiliser des pédagogies plus actives, plus coopératives et d'autres modes d'évaluation ». Quant aux seconds, dans une « société de l'information » où « la généralisation et la sophistication des machines à communiquer [fait] craindre le pire », ils mettent (notamment) en avant, d'une part, une grave dérive, celle qui consiste à prendre (et faire prendre) l'information immédiate – celle qui, justement, est massivement délivrée par les NTIC – pour du savoir, alors que l'authentique connaissance suppose « le temps, la promenade, la conversation, l'oubli, la distance, la réflexion et la construction », apanages a priori évidents de l'enseignement classique ; et, d'autre part, outre l'éventuelle mutation (dans un sens dommageable) de la relation pédagogique enseignant-enseigné traditionnelle (et précieuse), ils s'alarment du fait que « les différences cognitives (profondeur et durabilité des connaissances, savoir-faire) ou psychologiques (attitude envers le savoir et le travail) entre apprentissage en ligne et en présentiel peuvent être considérables, mais sont inconnues. Anthropologie, psychologie, sociologie, histoire des sciences, de la culture et de l'éducation doivent donc être mobilisées avant de lancer massivement les MOOC par injonction ministérielle »...

Enseignant à l'Ecole Polytechnique, le philosophe A. Finkielkraut, revenant sur ses vingt-cinq ans de cours aux ingénieurs de Palaiseau (« temple de l'élite »), affirme dans un entretien au journal Le Monde (mars 2013) que : « L'enseignement est une chose très simple : la dissymétrie entre le maître et l'élève en fait un acte de transmission et non de communication ». Prenant (en tout cas d'une certaine façon) le contre-pied d'une telle affirmation, c'est-à-dire considérant l'acte d'enseignement comme processus de communication (et pas seulement comme « transmission » stricto sensu d'un savoir) – et sur la base de nos expériences concrètes d'enseignants-chercheurs : l'un d'entre nous, notamment, professe devant environ 700 étudiants de première année de licence un cours magistral (intitulé « Epistémologie et théories de l'information et de la communication ») « hybridé », soit effectué pour moitié en « présentiel » et pour moitié sur une plateforme d'apprentissage en ligne, en l'occurrence de type Moodle –, nous nous proposons de réfléchir aux composantes, modalités, spécificités, conséquences d'un tel acte effectué « en ligne » ; réflexion menée particulièrement à l'aune des travaux de certains des auteurs de la « Nouvelle communication » (Winkin, 1981), qui proposent de la communication une vision « orchestrale », « systémique » et « constructiviste ».

Dans un premier temps, notre contribution replacera la question dudit enseignement « en ligne »/« à distance » dispensé, donc, par l'entremise des NTIC (« e-learning »), dans une problématique beaucoup plus large, celle relative au débat, récurrent et complexe, sur les techniques (et à l'éthique en matière de technique) initié et alimenté (dans divers domaines disciplinaires) par des auteurs comme Dagognet, Debord, Debray, Dupuy, Ellul, Habermas, Heidegger, Hottois, Jonas, Marcuse, Marx, Simondon, Stiegler, Weber. Notre optique, envisageant « les recherches sur les technè et sur les praxis, sur les relations aux outils et sur les savoir-faire pratiques », reconsidérera alors la stricte opposition technè/praxis – telle que la présente notamment un D. Bougnoux (selon Cordelier, 2012), où « la technè est l'action du sujet sur l'objet et où la praxis est l'action de l'homme sur l'homme » –, pour examiner les systèmes d'information et de communication compris comme des objets socio-techniques « où ce sont finalement les notions de couplage et d'intelligence distribuée qui permettent d'appréhender les processus en cours » (id., ibid.). Puis, nous examinerons le couple « contenu »/« relation » tel que défini par les auteurs d'« Une Logique de la communication » (Watzlawick et al., 1972) – concepts qui, d'un certain point de vue, constituent le centre de gravité de leurs recherches et pratiques menées en matière de communication interpersonnelle « directe » – ici envisagé dans un contexte « numérique » et « à distance », en nous posant la question de savoir si l'« axiomatique » proposée dans ce dernier ouvrage (notamment) s'applique à la relation enseignants-étudiants d'une façon identique (ou en tout cas comparable) lorsqu'elle s'effectue dans un tel cadre ; et, le cas échéant, quelles en sont les (éventuelles) spécificités (et conséquences de ces dernières).

Dans un second temps, sur la base de nos conclusions liminaires (première partie), nous proposerons une enquête qualitative menée auprès d'un large panel d'étudiants, envisageant la perception de l'e-learning par ces étudiants. L'analyse des données recueillies sera effectuée grâce au logiciel Alceste (version 4.8), bien approprié aux études de terrain (Duyck, 2001). Ainsi différentes classes de discours vont apparaître, nous permettant (probablement) de réaliser une typologie selon la perception de l'usage des TIC par les étudiants dans le cadre de leur apprentissages universitaires.

 

Références clefs 

Benoit D. (2007), « De l'émergence de ‘nouvelles réalités' : les ‘prédictions créatrices' », in Revue Internationale de Psychosociologie, « L'interaction et les processus de l'émergence », numéro spécial, vol. XIII, n° 29, 2007, pp. 35-58

Berthier D. (2004), Méditations sur le réel et le virtuel, Paris, L'Harmattan, 277 p. ; et voir « Virtuel. Etymologie – Etude sémantique – Commentaire », sur le lien http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/04/31/96/PDF/HALSHS_-VIRTUEL-DB.pdf [consulté le 25.03.2014]

Bougnoux D. (1998), La communication par la bande – Introduction aux sciences de l'information et de la communication, Paris, La Découverte, 281 p.

Cordelier B. (2012), Changement organisationnel et management par projet : mobilisation des systèmes d'information, Paris, L'Harmattan, 328 p.

Dalsuet A. (2013), T'es sur facebook ? Qu'est-ce que les réseaux sociaux changent à l'amitié ?, Paris, Flammarion, 128 p.

Finkielkraut A. (2013), « Enseigner à Polytechnique, c'est poser les questions qui méritent d'être formulées » (entretien), in Le Monde daté du 14 mars 2013

Lévy P. (1995), Qu'est-ce que le virtuel ?, Paris, La Découverte, 156 p. ; disponible sous le titre Sur les chemins du virtuel, sur le lien http://hypermedia.univ-paris8.fr/pierre/virtuel/virt0.htm [consulté le 06.01.2014]

Reinert M. (2001), « Alceste, une méthode statistique et sémiotique d'analyse de discours : Application aux ‘Rêveries du promeneur solitaire' », in La Revue Française de Psychiatrie et de Psychologie Médicale, 2001, V (49), pp. 32-36 ; et voir le lien http://fr.wikipedia.org/wiki/Alceste_%28logiciel%29 [consulté le 23.12.2013]

Roustang F. (2009), Feuilles oubliées, feuilles retrouvées, Paris, Payot, 251 p.

Serres M. (2012), Petite poucette, Paris, Editions Le Pommier, 84 p. ; et voir « Michel Serres et les horreurs du "présenciel" » (2012), in « d@ns le texte », Arrêt sur images, sur le lien http://www.arretsurimages.net/emissions/2012-06-13/Michel-Serres-et-les-horreurs-du-presenciel-d-ns-le-texte-id5014 [consulté le 06.01.2014]

Turkle S. (2012), Alone Together : Why We Expect More from Technology and Less from Each Other, New York, Basic Books, 360 p. ; et voir (2012) « Par SMS, nous trichons avec nous-mêmes » (entretien) in Le Monde daté du 10 octobre 2012

Vial S. (2013), L'être et l'écran. Comment le numérique change la perception, Paris, PUF, 335 p.

Watzlawick P., Helmick Beavin J., De Avilla Jackson D. (1972), Une logique de la communication, Paris, Seuil, 280 p.

 


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