Penser les techniques et les technologies : Apports des Sciences de l'Information et de la Communication et perspectives de recherches
4-6 juin 2014 Toulon (France)

Actes - Consultation par auteur > Hébuterne Béatrice

Mercredi 4
Arts et création
discutants : Pascal Robert et Philippe Dumas
› 13:30 - 14:00 (30min)
› Salle 225
Culture numérique et vestiges muséaux : deux mondes parallèles ?
Béatrice Hébuterne  1, *@  
1 : Centre François Viète  -  Site web
Université de Nantes
Centre François Viète 2 rue de la Houssinière - BP92208 44322 NANTES CEDEX 3 -  France
* : Auteur correspondant

A notre monde qui vit l'expérience de la modernité, H. Rosa[1] livre ‘Accélération, une critique sociale du temps' en 2010 et il récidive avec ‘Aliénation et accélération' en 2012. Il sonne l'alarme pour les individus qui, face au monde, et sous la pression d'un rythme sans cesse accru, ne peuvent ni le conquérir, ni se l'approprier. Il dévoile ses interprétations du futur :

- Une adaptation possible aux vitesses du changement ? Cela réclamerait de nouvelles formes de perception et de contrôle liées à d'autres nouvelles technologies à durée trop brève.

- Recourir à un ‘freinage d'urgence' pour une resynchronisation forcée.

L'une et l'autre entraîneraient vers la course effrénée vers l'abîme.

 

Dans une perspective culturelle, la compression du présent, c'est-à-dire la réduction progressive des durées pendant lesquelles on peut s'appuyer sur un corpus de connaissances et de pratiques stables, représente l'effet de l'accélération sociale le plus lourd de conséquences. Au début du XIXème siècle Goethe diagnostiquait « Une vitesse de péremption culturelle rendant nécessaire de tout réapprendre tous les cinq ans. » (chap 5 note 7 p. 431) mais cela ne concernait pour cette époque, que des domaines périphériques.

Les observations de l'accélération ont montré leur influence dans tous les champs de la production culturelle. Baudelaire avec « Le peintre de la vie moderne » définit la modernité comme le règne qui s'évanouit aussitôt, comme « le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l'art, dont l'autre moitié est l'éternel et l'immuable ».

Duchamp dans son tableau de 1912 ‘Nu descendant l'escalier' essayait de transposer artistiquement l'idée d'Einstein par la représentation abstraite du mouvement. H. Rosa précise « On lit clairement un effort pour traduire la dynamisation et la fragmentation de l'expérience du temps et de l'espace dans un nouveau langage formel ». M. Mead en 1971 avait déjà indiqué une explication dans son analyse du fossé des générations : « ... Les parents ne sont plus les guides, parce qu'il n'y a plus de guides, qu'on les cherche dans son propre pays ou à l'étranger. Aucun adulte aujourd'hui ne sait de notre monde ce qu'en savent les enfants qui y sont nés au cours des vingt dernières années ». Les générations ne se rattrapent pas, elles vivent dans l'isolement l'une de l'autre. Or chacun des conflits culturels des partisans de la décélération s'est soldé par une victoire des adeptes de l'accélération.

L'étude de ce texte souligne que deux mondes se côtoient obligatoirement : celui de la vitesse perpétuelle et l'autre tourné vers l'histoire, le patrimoine, le musée avec le temps immobile. Nous ne pouvons ignorer ni l'accélération dans laquelle nous vivons, ni le patrimoine figé qui impose son devoir de mémoire comme un monde ‘en arrêt'. Ces deux univers parallèles sont les nôtres.

L'impact des pratiques à dominante numérique chez les jeunes, en situation d'accélération constante, sur les lieux culturels semble un élément marquant incontestable d'autant que leurs usages sont tournés vers la communication et la création.

Les institutions culturelles l'ont bien compris et de leur côté, essaient aujourd'hui d'intégrer ces aspects, dans leurs expositions (site internet, applications Iphone et Android, visites virtuelles, réalité augmentée, scénographie « participative »...).

 

Les territoires des ‘digital natives'[2] sont multiples et complexes. Pour comprendre ces mutants et leur monde, nous avons observé leurs pratiques culturelles et analysé leur influence sur la réception des contenus mis en place dans certains lieux culturels.

Une exposition est un média qui se construit avec une relation entre le spectateur/visiteur et l'objet montré. De la rencontre entre l'œuvre et son public naît la médiation et de nouveaux espaces de rencontre entre esthétiques et sciences de la communication émergent.

Avec les supports de médiation numériques une relation différente aux œuvres voit le jour. D'une posture ‘contemplative', nous passons à une attitude ‘exploratoire'. L'espace culturel se transforme. L'exposition d'objets figés derrière les vitrines est rendue vivante et intéressante grâce à des dispositifs qui permettent de contextualiser les pièces d'une collection. Un espace sensoriel que l'on pourrait nommer ‘perception augmentée' se met en place.

Dans cette communication nous essaierons de comprendre la relation entre le monde de la culture ‘arrêtée' et celui de la vitesse. Comment faire face à la nécessaire valorisation des contenus savants dans le contexte des nouveaux supports numériques ?

 

Le musée doit-il offrir un havre de paix pour atténuer - au moins momentanément – le malaise de l'accélération écrasante ?

Y aurait-il une ‘thérapie' muséale à découvrir, à préparer, à construire et à gérer ?

Dans un tel refuge du passé, la rencontre de l'objet authentique et unique, s'impose au visiteur ; il ouvre au dialogue par tout ce qu'il véhicule d'informations, d'émotions, d'interrogations et de souvenirs. Il pousse la porte des silences du regardeur et engendre la sécurité et le face à face unique. Par ses bienfaits, cela se rapproche d'une spiritualité et provoque l'apaisement préparatoire à un retour à l'équilibre

Dans la reconquête des jeunes publics, une adaptation aux outils numériques s'installe peu à peu. Cela réclamera une certaine vigilance quant à l'implantation de ces nouvelles interfaces avec lesquelles l'accélération pourrait s'immiscer de manière inappropriée.

 

Bibliographie succincte :

 

  • Clerget Stéphane. Ils n'ont d'yeux que pour elle : les enfants et la télé Paris Fayard, 2002.
  • Fumaroli, Marc La culture et les loisirs, une nouvelle religion d'Etat, Commentaire, automne, n°51, Paris, Julliard, 1990
  • Hébuterne Béatrice – L'image éducatrice –PUF. 2000 118p.
  • Jaureguiberry Francis. Les branchés du portable. Paris : Presses Universitaires de France, (2003).
  • Lahire Bernard La culture des individus Paris La découverte 2004
  • Leleu-Merviel Sylvie – Effets de la numérisation et de la mise en réseau sur le concept de document - in Information, Interaction, Intelligence vol.4 n°1 2004 pp.121-140
  • Poinssac Béatrice Internet : L'école buissonnière – Magnard Vuibert. 1998 126p.
  • Hartmut Rosa Accelération – Une critique sociale du temps (traduit de l'Allemand par Didier Renault) La découverte avril 2010 411p.
  • Hartmut Rosa Aliénation et accélération – vers une théorie critique de la modernité tardive (traduit de l'anglais par Thomas Chaumont) La découverte 2012

 


[1] Hartmut Rosa ‘Accélération – Une critique sociale du temps (traduit de l'Allemand par Didier Renault) La découverte avril 2010 411p.

Hartmut Rosa Aliénation et accélération – vers une théorie critique de la modernité tardive (traduit de l'anglais par Thomas Chaumont) La découverte 2012

[2] Marc PRENSKY, Digital natives, digital immigrants, 2001, www.marcprensky.com



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