Penser les techniques et les technologies : Apports des Sciences de l'Information et de la Communication et perspectives de recherches
4-6 juin 2014 Toulon (France)

Actes - Consultation par auteur > Dahmen-Jarrin Zouha

Vendredi 6
Médias
médias et transformations politiques à l’ère 2.0 - discutants : Philippe Dumas, Marie-Michèle Venturini
› 9:00 - 9:30 (30min)
› Salle 320
Mouvement et contre-mouvement dans l'espace numérique: représentations et répertoires de l'action collective en Tunisie
Zouha Dahmen-Jarrin  1@  
1 : Université Charles de Gaulle - Lille 3  -  Site web
Université Lille III - Sciences humaines et sociales, PRES Université Lille Nord de France
Domaine universitaire du Pont de Bois - rue du Barreau - BP 60149 - 59653 Villeneuve d'Ascq cedex -  France

 

A la lumière des nouveaux mouvements de protestation survenus ces deux dernières années dans différents pays du globe et médiatisés sous des catégories sémantiques variées (Printemps arabe, Les indignées, Taksim, Occupay Maidan entre autres...), de nombreuses questions sont soulevées par la recherche dont celles relatives au niveau d'implication des TIC et notamment des réseaux socio-numériques dans la genèse, l'organisation, la coordination et la réussite de ces mouvements. Selon les lieux et les circonstances, il s'agit pour différentes approches disciplinaires (sciences politiques, sociologie des mouvements sociaux, sciences de l'information et de la communication) d'appréhender par l'analyse théorique et empirique la manière dont les nouveaux mouvements sociaux en ligne prennent forme, se développent et articulent le virtuel et le réel (Najar, 2013). A certains égards, le contexte de la construction démocratique en Tunisie semble représenter un terrain privilégié pour la recherche en Sciences de l'information et de la communication dans la mesure où il manifeste des opportunités politiques (Tilly, 2008) et médiatiques favorables au développement des mouvements sociaux. Leur investigation nous paraît essentielle pour comprendre les contours, les représentations, les moyens d'actions et les revendications exprimées.

En effet, depuis les élections de l'Assemblée constituante du 23 octobre 2011, les Tunisiens attendent de leurs élus et commissions d'experts la rédaction de la constitution et la préparation des prochaines élections. Les missions des nouveaux représentants politiques, dont la majorité est issue du parti islamiste, évoluent au rythme des mouvements de la société civile et des revirements de l'opinion publique sur fond de crise économique et de violence politique participant d'un climat d'incertitude et d'instabilité permanent. Par ailleurs, cette transition est caractérisée par le renforcement de la bipolarisation politique (islamistes/ séculiers) et la lutte acharnée des différents acteurs pour peser sur le processus en cours. Dans ce régime d'instabilité, les acteurs de la transition démocratique, dont font partie les activistes en ligne, nouent des alliances et font campagne par un travail de mise en scène publique de soi au travers des réseaux socio-numériques afin d'influer sur l'opinion et porter leurs revendications sur la scène politique. A l'image de cette configuration politique, l'espace numérique apparaît pendant cette phase historique tout autant investi par un mouvement opposé à la coalition politique au pouvoir que par un contre-mouvement qui cherche à valoriser et à soutenir son action.

De nombreux travaux ont été consacrés ces dernières années à l'étude de l'usage des TIC en lien avec la participation citoyenne et militante. Ils se sont notamment focalisés sur l'Internet comme un espace public alternatif, sur son potentiel de communication, d'organisation et de coordination des actions militantes lors des mouvement sociaux (Dahlgren 2000 ; Granjon 2001 ; Vitalis 2004 ; Cardon & Granjon 2010 ; Castells 2013 ; Najar 2013) et sur les nouvelles formes d'expression et d'engagement politique qu'il introduit (Proulx & Jauréguiberry 2002 ; Dahlgren 2006 ; Blondeau 2007 ; Flichy 2008 ; Cardon 2010 ). Ces perspectives interrogent toutes la question du renouvellement démocratique par le truchement de l'Internet et la manière dont les réseaux transforment désormais l'action politique. Les médias participatifs tels que les réseaux numériques devenus selon Castells des « médias de masse individuels », favorisent des mobilisations politiques permanentes attestant de l'émancipation des individus par-delà les contraintes politiques et les manipulations qu'ils sont susceptibles de rencontrer, et montrant leur capacité à contrôler et à intervenir dans l'espace public (Castells, 2013).

Bien que les questions soulevées par ces différentes approches permettent d'envisager une réflexion sur la redéfinition des cadres de l'espace public à la lumière de l'intervention croissante des TIC et des expressions politiques émergentes, il nous semble qu'elles mettent surtout la focale sur les formes sociales « progressistes » des usages de l'Internet d'une manière générale. En ce sens qu'elles sous-entendent un rapport positif des collectifs d'internautes à la démocratie et au changement politique et n'envisagent que partiellement l'espace des réseaux numériques comme un espace antagoniste et conflictuel pouvant être investi et mobilisé par des collectifs opposés. Loin d'être un espace unifié et homogène, les réseaux socio-numériques font également l'objet d'une appropriation réactive par des collectifs opposés au mouvement social, sensé être porteur de transformations sociales, (Mattelart & Ferjani, 2011) et d'une mise en construction des tensions liées à des positionnements politiques divergents vis à vis de certains problèmes sociaux.

Il s'agit dans cette contribution de rendre compte du rôle des réseaux socio-numériques dans la construction démocratique au regard du contexte politique et médiatique actuel en Tunisie. Une approche localisée de la question nous permettra de mieux situer la manière dont l'espace numérique est tout autant un espace d'expression politique qu'un espace de conflictualité et d'affrontement entre groupes mobilisés aux logiques et projets contradictoires. Nous souhaitons montrer comment la phase post-révolutionnaire, porteuse à l'évidence d'une fragmentation de l'espace politique, se construit symboliquement. Plus précisément, comment l'espace numérique incarne-t-il cette scène de représentation politique et de compétition entre groupes d'internautes mobilisés pour une meilleure visibilité auprès de l'opinion ?

 Pour conduire ce travail, nous nous appuyons sur une veille numérique des publications sur les réseaux Facebook et Twitter des opposants et des soutiens à la majorité politique issue des élections du 23 octobre 2011. L'observation s'étend sur la période allant du 30 juin au 15 décembre 2013. A notre observation s'ajoute une analyse socio-discursive des publications et des interactions de ces groupes pendant les manifestations du Bardo qui ont suivi l'assassinat de l'élu du parti de l'opposition « Le Front Populaire » le 25 juillet 2013. L'analyse nous permettra de montrer comment l'infléchissement de cette crise par les protagonistes est en partie tributaire de la manière dont les différents groupes d'opposants et de soutiens au gouvernement de transition se sont approprié les réseaux de l'Internet.

 

 

Bibliographie

 

Blondeau O. (2007), Devenir Média. L'activisme sur Internet, entre défection et expérimentation, Amsterdam, 381 p

Cardon D. & Granjon, F. (2010), Médiactivistes, Presses de Sciences Po, 147 p

Cardon D. (2010), La démocratie Internet. Promesses et limites, Seuil, 102 p

Castells M. (2013), Communication et pouvoir, Maison des Sciences de l'Homme, 668 p

Cefaï D. & Pasquier D. (2003), Les sens du public, publics politiques, publics médiatiques, PUF, 519 p

Fillieule O., Mathieu L., Péchu C. (2009), Dictionnaire des mouvements sociaux, Les Presses de

Sciences Po, 651 p

Fillieule O., Agrikoliansky E., Sommier I. (2010), Penser les mouvements sociaux, La Découverte, 327 p

Flichy P. (2010), Le sacre de l'amateur. Sociologie des passions ordinaires à l'ère numérique, Seuil, 97 p

Gonzalez-Quijano Y. (2013) « Promesses fallacieuses ? Les médias sociaux et les changements politiques arabes », Annuaire IEMed de la Méditerranée 2013, http://www.iemed.org/observatori-fr/arees-danalisi/arxius-adjunts/anuari/iemed-2013/Gonzalez%20Quijano%20Medias%20Sociaux%20et%20changement%20politique%20FR.pdf

Macé E. (2006), « Mouvements et contre-mouvements culturels dans la sphère publique et les médiacultures », in Maigret E. & Macé E., Penser les médiacultures. Nouvelles pratiques et nouvelles approches de la représentation du monde, Armand Colin, 192 p

Mathieu L. (2011), La démocratie protestataire, Les presses de Sciences Po, 173 p

Miège B. (2010), L'espace public contemporain, PUG, 221 p

Najar S. (dir.) (2013), Les réseaux sociaux sur l'internet à l'heure des transitions démocratiques, IRMC/KARTHALA, 489 p.

Neveu E. (2011), Sociologie des mouvements sociaux, La découverte, Repères, 127 p

Lecomte R. « Expression politique et activisme en ligne en contexte autoritaire », Réseaux, « Militantisme en réseau », n°181, 2013/5, pp. 51-86

Tilly CH. & Sidney T. (2008), Politiques du conflit : de la grève à la révolution, Les Presses de Sciences Po, 396 p

 

 

 

 


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