Penser les techniques et les technologies : Apports des Sciences de l'Information et de la Communication et perspectives de recherches
4-6 juin 2014 Toulon (France)

Actes - Consultation par auteur > Mœglin Pierre

Jeudi 5
Education et apprentissage
Regards croisés sur les MOOCs - discutante : Françoise Paquien Séguy
› 14:30 - 15:00 (30min)
› Salle 223
De quoi les Mooc sont-ils l'enjeu ?
Pierre Mœglin  2, 1@  
2 : Maison des sciences de l'Homme Paris Nord  (MSH Paris Nord)  -  Site web
CNRS
4 rue de la Croix Faron 93110 Saint-Denis La Plaine -  France
1 : Laboratoire des Sciences de l'Information et de la Communication  (LABSIC)  -  Site web
Université Paris XIII - Paris Nord : EA1803
UFR des Sciences de la Communication Maison des Sciences de l'Homme 99 av. Jean-Baptiste Clément 93430 Villetaneuse -  France

Ma proposition vise à répondre à l'interrogation de l'appel à communication (axe n°3) : « Cette offre [de dispositifs techniques en éducation, tels que MOOC, etc.] n'est pas toujours l'œuvre d'acteurs traditionnels en formation mais celle d'acteurs issus du secteur marchand et porteurs de logiques autres que pédagogiques. S'agit-il d'une (ré)industrialisation du secteur ? ». Pour nourrir ma réponse à cette interrogation sur l'éventualité d'une réindustrialisation par les MOOC, je développerai trois observations relevant successivement (1) de l'analyse de l'offre technique, (2) de l'étude des discours sur les techniques et leur diffusion ; (3) de la dimension idéologique de ces discours.

• Ma première observation sera donc consacrée à l'offre technique ; elle vise à souligner, à travers une analyse des réalisations actuelles, la pluralité des types de MOOC : entre véritables enseignements et simples conférences sans scénarisation pédagogique ; entre cours gratuits ouverts à tous et services payants (premium) plus ou moins associés à des services gratuits (free) ; entre sessions entièrement à distance et cours en ligne prolongés par des suppléments en présentiel, voire compléments à distance apportés à des enseignements traditionnels. Je soulignerai donc comment les programmes se réclamant de l'appellation MOOC – plusieurs milliers aujourd'hui – affichent des caractéristiques trop disparates pour que s'impose une définition unique. Mais, observai-je immédiatement, l'orthodoxie n'est pas la préoccupation première des promoteurs de MOOC ; au contraire le flou des définitions, le foisonnement des projets et l'hétérogénéité des réalisations les arrangent par bien des côtés. Son aptitude à fédérer des initiatives disparates donne en effet sa force à un mouvement qui doit beaucoup de la vigueur de son démarrage à l'ampleur des concours qu'il suscite. De fait, plus le projet est flou, plus nombreux sont ceux qu'il intéresse et s'y retrouvent au départ. Je poserai cependant la question, au vu du reflux actuel) de savoir dans quelle mesure cet avantage compétitif initial (bien mis en évidence par la Sociologie de la Traduction) ne se transforme pas en inconvénient pour les MOOC à plus ou moins long terme.

• Ma deuxième observation aura trait à la dimension technologique du phénomène. Elle partira du fait que la réalité des MOOC ne se limite pas à celle des programmes effectivement conçus et diffusés ; sont également partie intégrante de cette réalité les discours enchantés qui précèdent, suivent et parfois remplacent (ou éclipsent) les réalisations elles-mêmes. À cet égard, les propos dithyrambiques que je relèverai durant mon analyse de rapports et autres écrits – « un million d'étudiants », « succès stupéfiant », « révolution en marche », etc. – constituent en soi un intéressant objet de réflexion. Dans cette réflexion, je me concentrerai particulièrement sur la manière dont l'inflation discursive s'autoalimente de la masse des propos, de leur hyperbole, de la rapidité de leur production et aussi de leur redondance (par-delà leur apparente diversité). Au cœur de ces discours, je m'efforcerai en effet de faire ressortir la récurrence des trois questions que, de très longue date, suscite le lancement de chaque nouvel outil ou média éducatif : la question de l'efficacité pédagogique de l'outil ou média, celle de sa viabilité économique et enfin celle de ses incidences sur l'enseignement. Trois questions dont je montrerai, à la lumière de mes travaux antérieurs, qu'elles éludent celle des usages et que, du fait de leur excessive généralité, elle appellent aussi peu de réponses l'une que l'autre.

• Ma troisième observation s'inscrira sur le registre de l'analyse idéologique : s'il se confirme que le discours technologique sur la technique est peu opératoire, je me poserai la question des raisons de l'effervescence autour des MOOC. Mon hypothèse sera que leur promotion –plus exactement celle des MOOC jouant sur la massification des publics et l'apparente gratuité de l'offre – se comprend dans le contexte des grandes manœuvres idéologiques autour de la réorganisation des politiques universitaires et du système éducatif en général. De ces manœuvres les MOOC seraient selon moi les fruits plus que les vecteurs, les révélateurs au moins autant que les facteurs. Encore faudra-t-il, pour défendre cette hypothèse, marquer le fait que cette réorganisation ne prend pas du tout la même forme en France et aux États-Unis. Outre-Atlantique en effet, les MOOC sont surtout la réponse des universités « officielles » à la concurrence et à la multiplication des offres de formation à bas coût (elles-mêmes liées au surenchérissement des droits d'inscription). En France, en revanche, la mode des MOOC serait imputable, selon l'analyse que j'en proposerai, à deux tendances complémentaires : d'une part il participeraient de la disqualification des modes d'enseignement institués, jugés à la fois inefficaces et coûteux ; d'autre part, ils feraient retour à la conception ancienne – et que l'on aurait cru dépassée – d'une industrialisation éducative centrée sur la « pédagogie des tuyaux » et les économies d'échelle.

De l'une à l'autre de ces trois observations mon propos visera à établir le principe suivant : derrière la technique, il y a un ou des discours technologiques, lesquels sont marqués par des développements idéologiques. Au service de ce principe et à partir des réalités empiriques de mon matériau – offre technique, discours d'accompagnement, politiques universitaires –, je me situerai à l'articulation de trois univers conceptuels : celui, technocritique, inspiré par les théoriciens de l'École de Francfort et repris par J. Habermas sur « la technique et la science comme idéologie » ; celui, sociotechnique, de l'analyse des modes de diffusion des innovations ; celui, socioéconomique, enfin, des travaux sur l'industrialisation de la formation et les industries éducatives.


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