Penser les techniques et les technologies : Apports des Sciences de l'Information et de la Communication et perspectives de recherches
4-6 juin 2014 Toulon (France)

Actes - Consultation par auteur > Gago Laurent

Jeudi 5
Médias
Les médias traditionnels à l’épreuve des audiences en ligne - discutants Alain Kiyindou, Mokhtar Ben Henda
› 16:30 - 17:00 (30min)
› Salle 227
L'interactivité numérique à la radio. Etudes des discours d'accompagnement des acteurs de l'innovation
Laurent Gago  1@  
1 : Université Paris 3  (UFR Arts et Médias)
CIM

Cette communication s'inscrit dans l'axe « Médias » et sera à la fois d'ordre épistémologique mais aussi pragmatique. Nous interrogerons ici l'innovation radiophonique et plus précisément les discours d'accompagnement tenus dans la sphère médiatique (ici la presse et les acteurs des radios) sur les techniques radiophoniques numériques liées à l'interactivité (en expansion depuis deux ans).

 

Diffusée aujourd'hui sur le réseau Internet sous forme de données numérisées, la radiophonie témoigne d'une adaptabilité sans précédent et impose de nouvelles caractéristiques. Depuis 1995 deux supports sonores dits « radiophoniques » cohabitent sur le réseau. Le premier est caractérisé par la diffusion de programmes hertziens en streaming (via le simulcast). Le second support se caractérise par la diffusion de contenus sonores « hors fréquence hertzienne » appelé « webradios ». Utilisant seulement les technologies inhérentes à Internet, celles-ci se sont majoritairement inscrites dans la filiation des radios FM (proposant des programmes sonores sur un mode synchronique) ne laissant dès lors que peu de place à l'interactivité (et à la navigation multimédia)[1]. Une phase de maturation (caractérisée par de nombreuses négociations entre les différents acteurs impliqués) permettra dès 2003 de diffuser en différé et de proposer des programmes singulièrement différents des structures hertziennes. Enfin, avec l'avènement des réseaux sociaux en France (fin des années 2000), les radios en ligne françaises permettent, pour la plupart, des modes d'interactivité différents du média hertzien (lettres et téléphones) et cela via des dispositifs numériques (Facebook, Twitter), correspondant plus alors aux potentialités du réseau Internet (web 2.0)[2]. Le phénomène est tel que de nouvelles appellations émergent pour les caractériser : « sociales radios », « radios augmentées », « radios mobiles connectées ». Ainsi, les radios en ligne n'hésitent plus aujourd'hui à mettre en avant des dispositifs invitant les récepteurs à interagir « systématiquement ». Ces sites partent ainsi du postulat que les auditeurs sont des internautes « hyper » connectés. Dans ce cadre, beaucoup de discours sont ainsi entretenus dans l'espace public sur l'implication croissante du récepteur.

 

Cette présentation rapide montre que l'innovation radiophonique numérique n'est pas linéaire. Les mutations de la radio ne correspondent pas à une simple modification de structure technique : les changements observés relèvent à la fois d'une importante multiplication des modalités de consommation liée aux supports technologiques mobilisés mais aussi à des cadres stabilisés à travers des contextes sociotechniques pluriels[3]. Parmi ces contextes, il est un domaine qui joue un rôle non négligeable dans la construction (voire l'appropriation sociale) de l'innovation : les discours d'accompagnement tenus dans la sphère publique (et notamment médiatique).

 

Nous présenterons ainsi, les discours d'accompagnement inhérents à l'usage des récents réseaux sociaux exploités par les radios (soit entre 2010 et 2013, par les acteurs de la presse quotidienne, hebdomadaire et professionnelle française mais aussi par les acteurs des radios).

 

 

Hypothèse :

 

Nous posons comme hypothèse que les discours tenus à l'égard des radios qui font usage des réseaux sociaux (soit la plupart aujourd'hui) s'inscrivent dans une perspective de rupture avec la radio analogique (ou les modes d'interactivité sont radicalement différents), annonçant une « révolution radiophonique » (discours de substitution plutôt que de complémentarité). De plus, ces dispositifs interactifs offriraient de nouveaux modèles de communication « horizontaux » (l'outil technique permettrait de donner définitivement la parole aux récepteurs et lui donnerait un nouveau statut d'intervenant). Mise à l'épreuve, cette hypothèse permettra de relativiser la portée des discours à l'égard des publics imaginés.

 

Présentation du corpus :

 

Articles de la presse quotidienne nationale, presse hebdomadaire (la plus lus) et professionnelle, ainsi que les discours tenus par les acteurs des radios (discours et publicités en interne sur les sites de radio). Ils seront étudiés dans la période 2010 - 2013 (période à laquelle de nombreux articles abordent ce sujet).

 

Grille d'analyse :

 

- type de texte (informatif, déclaratif, argumentatif...).

- déictique (texte convoquant des marqueurs temporels présents, et futurs).

- répétition des idées, des termes (offre technique...).

- arguments présentés (amélioration techniques, rapidité d'interactivité...).

- remise en question de l'innovation.

- débats entre différents acteurs (citoyens, experts des médias, journalistes, responsable de médias).

- avis des consommateurs, des auditeurs (logique de la demande).

Objectif de la communication :

 

Valoriser l'approche méthodologique qui consiste à étudier les discours d'accompagnement d'une innovation dans le but de proposer une approche globale (non déterministe) et ainsi montrer qu'une innovation n'est pas le fruit de ruptures (les médias traditionnels seraient supplantés par un modèle médiatique original et radicalement nouveau) mais qu'elle s‘inscrit dans un processus d'hybridation. Nous défendons l'idée qu'en tenant compte des configurations sociotechniques, il devient possible de penser les évolutions comme un processus évolutif (sur le temps long) mais aussi additionnel (se nourrissant des empreintes du passé). Cela peut permettre de se départir du clivage qui oppose anciens et nouveaux médias et d'observer au mieux leurs caractéristiques communicationnelles. Ce travail s'inscrit dans la continuité des travaux des sociologues des usages dont les recherches sur les dispositifs sociotechniques s'articulent dans une perspective macrosociologique (à partir de l'étude des nombreux contextes à l'œuvre dans le processus d'innovation) et non via une approche techniciste reposant sur la logique de l'offre et de la demande. Nous souhaitons ainsi vérifier si ces discours, loin d'être dénué de sens, favoriseraient - parmi d'autres contextes - la période de l'adoption et de l'appropriation sociale de l'innovation. 

 

Bibliographie :

 

- De CERTEAU, Michel. L'invention du quotidien. Arts de faire. Paris, Gallimard, 1998.

- FLICHY, Patrice. L'imaginaire Internet. La découverte, 2001.

- GAGO, Laurent. Approche socio-technique du support radiophonique sur Internet, en France, entre 1999 et 2006. Étude des discours de presse, des déclarations des concepteurs et des sites a posteriori. Thèse de doctorat, Université de Paris III, Sorbonne Nouvelle, juillet 2006, Non publiée.

- GAGO, Laurent. La radio du XXIème siècle : à la rencontre d'Internet », revue Médiamorphoses, INA, n° 23, juin 2008.

- MASSIT-FOLLEA, Françoise. Usages des TIC : acquis et perspectives de la recherche, in Le Français dans le Monde, n°spécial de janvier 2002, « Apprentissage des langues et technologies : des usages en émergence ».

- REBILLARD, Franck. Web 2.0 en perspective. Une analyse socio-économique de l'Internet, éditions L'hamattan, 2007.

- VEDEL, Thierry, « sociologie des innovations technologiques des usagers : introduction à une socio-politique des usages dans Médias et nouvelles technologies. Pour une socio-politique des usages sous la direction de VITALIS, André. Éditions Apogée, Rennes,1994.

 


[1] En France, seule « diora.com », dont la période d'existence sera relativement courte, représentera une webradio interactive (2000). Les concepteurs ont en effet choisi de centrer les programmes sur l'actualité via un processus à la demande. Pour Pierre-Albert Ruquier, fondateur du projet, « l'utilisateur vient faire son marché » à travers des rubriques mises à sa disposition.

[2] GAGO, Laurent, Approche socio-technique du support radiophonique sur Internet, en France, entre 1999 et 2006. Étude des discours de presse, des déclarations des concepteurs et des sites a posteriori. Thèse de doctorat, Université de Paris III, Sorbonne Nouvelle, juillet 2006, Non publiée.

[3] GRANJON, Fabien, COMBES, Clément, la numérimorphose des pratiques musicales. Le cas des jeunes amateurs, Réseaux, 145/146, UMLV/ Lavoisier, 2007, p. 295.

 


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