Penser les techniques et les technologies : Apports des Sciences de l'Information et de la Communication et perspectives de recherches
4-6 juin 2014 Toulon (France)

Actes - Consultation par auteur > Plante Flavie

Mercredi 4
Société
Décrire et penser les NTIC - discutante : Beatrice Fleury
› 14:00 - 14:30 (30min)
› Amphi 100
Penser un outil numérique dans le cadre d'une conception collective : l'ingénieur et le chercheur en SIC, une collaboration complexe.
Flavie Plante  1, *@  
1 : Laboratoire LCF EA 4549- Université de La Réunion
* : Auteur correspondant

Les définitions de la conception d'un outil technologique sont nombreuses. Activité cognitive de résolutions des problèmes (Simon, 1969-1996), processus de construction de représentations (Visser, 2009), dynamique de traduction (Akrich, Callon, Latour, 2006), dépendante des possibilités technologiques, des besoins des consommateurs (Caelen, 2009), corrélée aux exigences d'un certain nombre de réseaux, la conception est un processus complexe dont la définition fait débat. Depuis ces dernières années, l'insertion de nouveaux acteurs dans le processus de conception élargit son champ d'entendement. Les chercheurs étudient alors des phénomènes de conceptions collectives et définissent la co-conception, la conception coopérative, la conception participative, etc.

Avec le développement des technologies numériques, la compréhension de la conception connaît une dynamique nouvelle. Les chercheurs en sciences humaines et sociales sont parfois sollicités pour participer à ce processus. Comment appréhender la conception d'un outil numérique dans le cadre d'une collaboration entre ingénieurs et chercheurs en Sciences de l'Information et de la Communication (SIC) ? Quels sont les critères qui sont à prendre en compte lorsque ces concepteurs, qui appartiennent à des réseaux professionnels et sociaux différents, pensent la conception d'une technologie ?

Pour tenter d'apporter des éléments de réponses à ces questions, nous allons présenter les premiers résultats d'une recherche en cours portant sur la conception d'un objet numérique à finalité éducative dans le domaine de la santé. Cette recherche est menée dans le cadre d'un projet qui réunit de nombreux partenaires (ingénieurs, chercheurs, médecins) ayant signé une convention avec le ministère de la santé. Cette convention stipule le rôle de chacun dans la conception de l'outil. Plus d'un an après le début du projet, un premier constat peut être dressé : la collaboration entre chercheurs en SIC et ingénieurs s'avère plus difficile que prévu.

S'appuyant sur des observations participantes réalisées lors des différentes réunions de travail, cette communication propose de présenter des éléments explicatifs des relations entre chercheurs et ingénieurs dans le processus de conception d'un outil numérique.

L'introduction abordera, dans un premier temps, le projet et ses partenaires. Les rôles des ingénieurs et ceux des chercheurs en SIC dans la conception seront alors présentés tels qu'ils ont été définis dans la convention. Dans un second temps, la méthodologie employée, pour appréhender l'observation de la conception de cet outil, sera définie. Cette méthodologie s'inscrit dans une démarche qualitative et s'inspire des méthodes ethnographiques. Le cadre de la récolte des données, les notions et concepts employés seront ici présentés.

La communication sera ensuite consacrée à la présentation des premiers résultats. Il sera alors question de tenter d'approcher les éléments permettant de saisir les dynamiques de coopération entre les chercheurs et les ingénieurs du projet. Différentes entrées sont y ici mobilisées.

Premièrement, la communication proposera une analyse des représentations sociales des acteurs sur l'objet à construire, ses usages et ses usagers. En utilisant les représentations sociales dans notre approche théorique, nous souhaitons aborder la manière dont les ingénieurs, les chercheurs et les soignants, concepteurs définis par le projet, pensent l'objet. En effet, les représentations sociales permettent de saisir de nombreux niveaux de la réalité (Moscovici, 1961). Pour un même objet, des individus peuvent développer des attitudes différentes (Roussiau, Bonardi, 2001). Dans le domaine de la conception, les représentations sociales peuvent favoriser le processus de construction (Dreveton, 2008). Nous souhaitons ici présenter les composantes des représentations sociales qui sont activées lorsque des groupes d'individus doivent collaborer sur la conception d'une technologie numérique. L'imaginaire technique (Breton, 2006), les usages anticipés (Akrich, 1998 ; Davallon, Le Marec, 2000) et les figures des publics (Dayan, 1993; Esquenazi, 2003; Melh, Pasquier, 2004) seront observés pour approcher la manière dont l'outil est pensé. Nous verrons que l'observation des représentations sociales des concepteurs participe à la compréhension des dynamiques de collaboration.

Deuxièmement, cette communication présentera la définition que donnent les acteurs de ce projet, en particulier les ingénieurs, à la conception collective et au rôle de chacun dans ce processus. Des recherches sur les ingénieurs ont montré que leur manière de penser la conception d'un objet n'est pas uniquement technique mais qu'elle englobe une vision de la société, des valeurs (Vatin, 2008), une éthique (Didier, 2008). Pour la sociologie de la traduction (Akrich, Callon, Latour, 2006), la compréhension de la conception passe également par la prise en compte des réseaux d'acteurs qui participent à cette conception. Cette recherche permet d'observer la manière dont les ingénieurs pensent la collaboration avec des chercheurs en SIC. Pour approcher la définition que donnent les ingénieurs à la conception collective et aux rôles des chercheurs dans ce processus, nous allons nous intéresser à la manière dont ils définissent leur métier. Puis, il sera question de la définition qu'ils attribuent à un autre partenaire du projet : les chercheurs en SIC. À travers l'analyse du regard des ingénieurs sur les métiers et les compétences de chacun, nous pensons qu'il est possible d'apporter des éléments de réflexion sur la question du statut du chercheur et de sa légitimité en dehors d'un cadre universitaire et plus particulièrement vue par des acteurs du monde de l'entreprise. Cette réflexion fait ici écho aux problématiques décrites dans les travaux menés au cours des recherches-actions (Meyer, 2006).

 

Dans sa partie conclusive, cette communication propose d'interroger les outils méthodologiques et théoriques à disposition du chercheur en SIC autour de la compréhension de la collaboration entre ingénieurs et chercheurs. Par exemple, au niveau méthodologique, nous questionnons les dispositifs d'enquête que peut utiliser le chercheur dans une situation de recherche qui le conduit à s'insérer dans un processus de conception collective tout en l'observant.

Du point de vue théorique, nous proposons de mobiliser différentes approches comme la sociologie de la traduction, les théories autour des représentations sociales et celles autour de la conception pour comprendre la collaboration entre l'ingénieur et le chercheur.

 

Plan :

 Introduction

Présentation du projet

Méthode et dispositifs de recherche

 

 1. L'ingénieur et le chercheur : des représentations en conflit

1.1 Penser les usagers

1.2 Penser l'outil

1.3 Penser les usages

2. Penser la coopération

2.1 L'ingénieur vu par l'ingénieur

2.2. Le chercheur vu par l'ingénieur

 3. Questions de méthode

 

 

Bibliographie :

AKRICH Madeleine, 1998, « les utilisateurs acteurs de l'innovation », Éducation permanente, n°134, p.79-89.

AKRICH Madeleine, CALLON Michel, LATOUR Bruno, 2006, Sociologie de la traduction. Textes fondateurs, Paris. Presses des Mines.

BRETON Philippe, 2006, « Imaginaire technique et pensée du social », Sociétés, n° 93, p. 69-76.

CAELEN Jean, 2009, « Conception participative par “moments” : une gestion collaborative », Le travail humain, Vol. 72, p. 79-103.

DAVALLON Jean, LE MAREC Joëlle, 2000, « L'usage en son contexte. Sur les usages des interactifs et des cédéroms des musées », Réseaux, volume 18 n°101. pp. 173-195.

DAYAN Dayan (numéro coord. par), 1993, « A la recherche du public : réception, télévision, médias », Hermès, n° 11/12.

DIDIER Christelle, 2008, Les ingénieurs et l'éthique pour un regard sociologique, Paris, Lavoisier.

DREVETON Benjamin, 2008, « Le rôle des représentations sociales au cours du processus de construction d'un outil de contrôle de gestion », Comptabilité - Contrôle - Audit, Tome 14, p. 125-153.

ESQUENAZI Jean-Pierre, 2003, Sociologie des publics, Paris, La Découverte.

MEHL Dominique, PASQUIER Dominique (dossier coord. par), 2004, « Figures du public», Réseaux, vol. 22, n° 126.

MEYER Vincent, 2006, « De l'utilité des recherches-actions en SIC », Communication et organisation [En ligne], 30, mis en ligne le 21 juin 2012, consulté le 13 décembre 2013. URL : http://communicationorganisation.revues.org/3455

MOSCOVICI Serge, 2004 (1ère éd. : 1961), La psychanalyse son image et son public, Paris, PUF.

ROUSSSIAU Nicolas, BONARDI Christine, 2001, Les représentations sociales. Etats des lieux et perspectives, Mardaga, Belgique.

SIMON Herbert A. (1969-1996). The Sciences of the Artificial. Cambridge, The MIT Press.

VATIN François, 2008, « L'esprit d'ingénieur : pensée calculatoire et éthique économique », Revue française de Socio- Économie, n°1, p.131-152.

VISSER Willemien, 2009, « La conception : de la résolution de problèmes à la construction de représentations », Le travail humain, Vol. 72, p. 61-78.


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