Penser les techniques et les technologies : Apports des Sciences de l'Information et de la Communication et perspectives de recherches
4-6 juin 2014 Toulon (France)

Actes - Consultation par auteur > Gravereaux Clément

Mercredi 4
Organisations
discutantes Christian Le Moënne et Claire Scopsi
› 14:00 - 14:30 (30min)
› Salle 319
TIC et Santé, une réorganisation du quotidien. Retour d'expérience d'un terrain de recherche
Clément Gravereaux  1@  
1 : Plurilinguismes, Représentations, Expressions Francophones - information, communication, sociolinguistique  (PREFics)  -  Site web
Université de Bretagne Sud [UBS] : EA4246, Université François Rabelais - Tours : EA4246, PRES Université Européenne de Bretagne [UEB], Université de Rennes II - Haute Bretagne
UFR Arts, Lettres et Communication. Place du Recteur Henri Le Moal. 35043 RENNES CEDEX -  France

Titre : TIC et Santé, une réorganisation du quotidien. Retour d'expérience d'un terrain de recherche.

Axe 2 du congrès : Organisation

 

1) Contexte de la recherche :

 

Nous souhaitons apporter notre contribution à cet appel à communication en proposant une réflexion issue d'un terrain de recherche qui est celui du Centre Hospitalier Privé de Saint-Grégoire, traversé par l'intégration d'un SIH (Système d'Information Hospitalier).

 

Dans le cadre des recompositions organisationnelles intégrées dans les transformations des outils technologiques et numériques de travail, notre attention se porte particulièrement sur les systèmes d'information de santé et leur déploiement. En effet, nous avons l'opportunité pendant trois ans de suivre le déploiement d'un SIH : MédiBoard. En plus de pouvoir observerson déploiement « technologique », il nous est donné à voir et à étudier, l'ensemble des recompositions que cela entraîne ;

  • Au niveau organisationnel, refonte des processus prenant en compte désormais la présence d'un SIH ; 
  • Au niveau professionnel, recomposition et transformation des pratiques de travail qui intègrent désormais un outil de traçabilité à vocation de transmission instantanée ;
  • Au niveau des relations de travail, le contact entre collègues et avec le patient, qui n'est plus identique du fait de la présence d'un dispositif ;
  • Au niveau des responsabilités qui sont maintenant engagées, la frontière entre le physique et le virtuel étant mince, en terme de matérialité de l'action, cela induit le fait que les actes « numériques » finissent par ne plus avoir pas la même valeur que les actes « physiques ».

Ces exemples ne sont pas arrêtés, ce sont les premiers éléments qui nous sont apparus et que nous avons commencé à traiter. Notre terrain révèle chaque jour de nouvelles ouvertures d'investigation.

 

Les thématiques que nous abordons dans cette communication s'inscrivent dans la lignée des travaux en communication organisationnelle, sur lesquelles le PREFics se positionne depuis plusieurs années. En effet, en tant que laboratoire de recherche en SIC, nos problématiques principales intègrent des problématiques de normes professionnelles issues des TIC, et interrogent les recompositions qui en découlent, soit le lien entre communication et possibilité de construction d'une norme (de communication professionnelle ici).

 

Dans le cadre de notre article, l'intégration d'un SIH au CHP Saint-Grégoire, sera mise en perspective théorique selon ces questionnements pré-cités.Nous avons ici l'opportunité précieuse, dans le cadre de notre thèse financée par la Région et dans le cadre d'un contrat de collaboration-recherche financé par cette clinique du Groupe Vivalto-Santé, d'être au plus près des recompositions processuelles, opérées (ou non) par le déploiement d'un SIH.

 

Notre présence au sein d'un CHP a fait l'objet de plusieurs mois d'échange afin de stabiliser à la fois des conceptions, mais aussi un langage commun autour des pratiques organisationnelles. Il s'est révélé que les SIC, notre discipline et particulièrement la communication des organisations, ont recueilli un grand intérêt auprès des professionnels que nous souhaitons observer dans leur situation de travail et dans leurs discours, et en particulier auprès des cadres porteurs de ce SIH. Nos interlocuteurs se sont montrés particulièrement désireux de partager notre expertise et de "jouer le jeu" de la dimension recherche. Fort de cette incursion dans le secteur privé de la santé, nous postulons que la place des SIC s'accroît pour tenter de trouver des voies d'intégration et de compréhension des phénomènes technologiques. Au-delà de l'application de modèles d'action, les professionnels se posent toujours plus de questions, qui sont mises à l'épreuve dans le cadre de l'intégration des systèmes d'information intégrés dans les logiques d'action.

2) Les questions de recherche 

 

Dans quelle mesure l'intégration d'un SIH impacte ou non les recompositions organisationnelles dans la structure de soin observée ?

Pour y répondre, plusieurs pistes sont retenues :

- De nouvelles normes d'échange de "l'information patient" :

Le nouvel impératif organisationnel semble aujourd'hui être d'ordre informationnel. La temporalité de l'action via l'outil SIH s'en trouve ainsi recomposée. Les logiques de flux, de création, d'échange d'information sont transformées. L'information devient instantanément échangée et accessible une fois transposée sous une forme numérique. On entre ici dans une véritable zone de tension pour les pratiques professionnelles, en passant de l'écrit papier à l'écrit numérique, qui est lui « dématérialisé ».

 

Des auteurs en SIC nous aideront à penser ces tensions entre normes de communication et pratiques (Loneux, Parent, 2010 ; Le Moënne, 2013). La problématique ici touche à cette réorganisation des processus, en ce que, par exemple, plusieurs sources d'informations coexistent et détiennent potentiellement la même information. Le papier est toujours présent,et le dossier numérique aussi.

 

- Une culture de pratiques du soin recomposée à décrypter :

L'accès aux données des patients, depuis l'essor du « dossier unique » qui a émergé dans les années quatre-vingt, poursuit sa révolution de l'organisation de santé, en ce que, auparavant, la traçabilité écrite ne s'était développée que dans une très faible proportion. Le passage à la traçabilité numérique estvécu comme une rupture culturelle avec les pratiques professionnelles médicales « classiques » qui utilisaient davantage la transmission d'informations orales plutôt qu'écrites. On peut observer une fracture entre la recomposition « numérique » des processus d'action, et l'ancrage dans des pratiques classiques de la profession.

 

Le passage de l'oral à l'écrit puis à l'écrit numérique, interroge ainsi le chercheur surles savoirs-faires culturo-professionnels, mais aussi les stratégies visant à l'efficacité du SIH en contexte de travail. Les professionnels semblent avoir du mal à intégrer l'outil informationnel, alors qu'en dehors de la situation (et non le lieu) de travail, les individus ont un rapport autre aux technologies de l'information.

 

Les approches sur l'individu en contexte de soin ont été travaillées en SIC (Mayère A., Bazet I., Roux A., 2012 ; Mayère, 2004 ;Durampart M., 2007).

 

- Des représentations transformées dans ce quotidien du soin, une quête de sens à interroger :

Le dernier point abordé concernel'accès à l'information, qui tend à devenir uniquement numérique, phénomène organisationnel qui entraîne une transformation des comportements et des représentations circulantes.L'outil informatique ou numérique d'information patient est considéré comme une tâche de travail supplémentaire et intègre moins la tâche primaire que constitue le soin.

 

Dans les façons de percevoir le dispositif technologique, sa reconnaissance comme outil de travail n'est pas partagée, elle souffre encore de représentations issues de terminologies anciennes telles que « l'informatisation » qui désignent davantage un équipement matériel qu'un outil prolongé de l'action de soin. Une dichotomie opère entre utilisateurs volontaires et individus réfractaires. Les soignants, les médecins, le personnel administratif sont touchés par le déploiement du SIH, et selon nos constats, le manque de signification donnée au projet est bien réel.

 

Quelques auteurs alimenteront notre propos concernant cette question de la construction possible du sens en organisation : Barbier JM, 2010 ; Bryon-Portet C., 2011 ; Hachour H, 2011).

3) Bibliographie non exhaustive

- Barbier JM, 2010/1 , « Cultures d'action et modes partagés d'organisation des constructions de sens », Revue d'anthropologie des connaissances, pp. 163-194, Vol 4

- Bourdin, S., Bouillon, J.-L., Loneux, C., (Coord.) (2007). « De la communication organisationnelle aux « approches communicationnelles » des organisations : glissement paradigmatique et migrations conceptuelles », Communication et Organisations, N° 31, pp. 7-26.

- Durampart, M. (2007). « Les TIC et la communication des organisations : un dispositif révélateur des émergences ambivalentes de nouvelles formes organisationnelles », Communication et Organisation, N° 31, pp. 165-177.

- Grosjean, S., Lacoste, M. (1999). Communication et intelligence collective ; le travail à l'hôpital, Paris, Presses Universitaires de France.

- Hachour H., « Épistémologies socio-sémiotiques et communication organisante : la coproduction de sens comme moteur de l'organisation », Communication et organisation [En ligne], 39 | 2011

- Hochereau François, « Concrétisation et normalisation » l'injonction contradictoire de l'inscription de l'informatique dans l'organisation, Réseaux, 2006/1 n° 135-136, p. 287-321.

- Le Moënne, Ch., 2013, « Entre formes et normes. Un champ de recherche fécond pour les SIC », http://rfsic.revues.org/365, RSFIC, Paris, Revue.org, Numéro 2.

- Loneux Parent, Dirs, 2010. La communication organisationnelle, Recherches récentes, Paris, L'Harmattan, Tomes 1 et 2.

- Loneux, C., 2004, « Savoirs professionnels et savoirs scientifiques dans l'organisation – Du face-à-face à l'enchevêtrement », Communication et langage, N° 41, sept 2004, pp. 71-82.

- Machado Da Silva Juremir, « Nouvelles technologies, nouvelles socialités, anciens sentiments »,
Sociétés, 2006/1 no 91, p. 69-74.

- Mayère A., Bazet I. et Roux, 2012. Zéro papier et « penses-bêtes », à l'aune de l'informatisation du dossier de soins, pp. 115-139, Revue d'Anthropologie des connaissances, ed SAC, vol. 6.

- Mayère, A. 2004. « Mutations organisationnelles et évolution des productions et échanges d'information », Sciences de la Société, N° 63, pp. 87-106.

- Thévenet M., 2012, “Le management hors du sujet”
Nouvelle revue de psychosociologie, 2012/1 n° 13, p. 93-104.

 

 


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