Penser les techniques et les technologies : Apports des Sciences de l'Information et de la Communication et perspectives de recherches
4-6 juin 2014 Toulon (France)

Actes - Consultation par auteur > Claus Simon

Jeudi 5
Médias
Les médias traditionnels à l’épreuve des audiences en ligne - discutants Alain Kiyindou, Mokhtar Ben Henda
› 17:00 - 17:30 (30min)
› Salle 227
La montée en puissante des acteurs des TIC au sein des industries de la culture, réflexion autour de l'arrivée de Netflix au Canada.
Simon Claus  1@  
1 : Centre de recherche interdisciplinaire GRICIS sur la communication, l'information et la société  -  Site web
École des médias Université du Québec à Montréal Case Postale 8888 Succursale Centre ville Montréal, Québec, H3C 3P8 -  Canada

Au centre de nombreuses dynamiques, les industries culturelles apparaissent, dans leur ensemble, particulièrement sensibles à l'évolution du contexte tant technologique que politique ou socio-économique dans lequel elles évoluent. Aujourd'hui, la place croissante prise par les industries de la communication au sein des industries de la culture tend à modifier et remettre en question l'organisation de ces dernières. Déjà, en 1986, Jean-Guy Lacroix (1986, 6) écrivait qu'« avec le développement technologique, la frontière hardware/software devient de plus en plus floue » ce qui tend à bousculer les limites du champ des industries culturelles. Dans la même dynamique, Philippe Bouquillion (2009), tout en mettant en lumière les dynamiques de rencontre entre les industries de la culture et industries de la communication, explique que les « les contenus connaissent de profondes transformations de leurs modalités de création, production, diffusion, promotion, valorisation, et d'usage » (Bouquillion, 2009, 44). 

On constate ainsi que des sociétés issues du hardware, comme Google ou Apple, se posent de plus en plus comme des agrégateurs et fournisseurs de contenus produits par des tiers. À une plus petite échelle, mais montant en puissance, la société Netflix présente dans 52 pays et qui regroupe 40 millions d'abonnés pour un chiffre d'affaires de 3.61 milliards de dollars (2012) occupe une place de plus en plus importante au sein des industries de la culture. Parallèlement à cette croissante exponentielle, l'entreprise qui propose des films en flux continu sur Internet produit depuis 2012 des séries à l'image d'House of cards ou de Lilyhammer. Symbole de ce succès, certains acteurs « historiques » tels que Dreamworks et Marvel ont même décidé de se lancer dans des partenariats avec la société de Reed Hastings afin de produire des séries télévisées.

En 2010, Netflix décide de s'implanter au Canada. Selon un rapport du CRTC (2013), 17 % des ménages canadiens sont abonnés à Netflix et l'an dernier, les services de vidéo en ligne auraient enregistré une croissance de 70 % dans le pays. L'arrivée de nouveaux acteurs tels que Netflix n'a pas manqué de susciter une certaine crainte des sociétés locales qui ont rapidement décidé de réagir. À titre d'exemple, au Québec, terrain qui va nous intéresser dans la présente communication, le géant des médias, Québecor, décide de lancer Illico club, un « Netflix québécois », par l'intermédiaire de son câblodistributeur Vidéotron. Pour Robert Dépatie, président de Vidéotron, ce service illimité de vidéo sur demande a pour vocation de concurrencer Netflix et d'adapter Vidéotron à la nouvelle réalité du marché. Dans la même dynamique, les deux autres grands acteurs de la culture et des communications présents au Québec, Bell et Rogers, ont annoncé leur intention de lancer leur propre service d'écoute en ligne.

 Au Québec, il faut savoir que les industries de la culture de la culture et de la communication sont dominées par de grands conglomérats ayant mis en place une stratégie de croissance externe dans le but de dominer ces industries et opté pour une stratégie de propriété croisée visant à posséder différents types médias dans le but de bénéficier d'effet de synergie de l'utilisation conjointe de ces derniers (Raboy, 2000, Claus, 2013). Dès lors, ou sein de cet oligopole, concentration et "convergence" apparaissent comme les maîtres-mots.

Lorsque l'on s'intéresse aux revenus de ces conglomérats, on remarque notamment que les activités de câblodistribution ont pris une grande importance. Ainsi, au cours des dernières années, les activités de diffusion/distribution ont pris un rôle prépondérant et apparaissent comme la clef de la domination pour des firmes oligopolistiques cherchant généralement à se positionner à un endroit décisif du cycle de production-distribution (George, 2005, 2010). Les innovations en matière de numérisation des signaux et les politiques de mise en place des réseaux à large bande ont grandement participé à cette évolution. Le fort développement de la logique de Club, qui repose sur l'idée de consécration de l'hégémonie de la distribution (Tremblay, 1997) et sur laquelle s'appuie Vidéotron, illustre cette montée de la distribution. Celle-ci se fait parallèlement à la stagnation des taux d'écoute de la télévision et la dispersion de l'audimat (CRTC, 2013), à la baisse logique de flot sur lequel a longtemps reposé le modèle économique de la télévision (Beaud, Flichy et Sauvage, 1984) et à l'inexorable montée en puissance d'internet. C'est dans ce contexte, qu'au cours de ces dernières années, Bell et Rogers ont massivement investi dans les réseaux sans fil et à large bande tout comme Québecor qui a développé ses infrastructures de télécommunications et s'est tourné vers les « nouveaux médias ». Ces investissements rentrent dans le cadre des politiques de "convergence" et d'innovation prônées par ces sociétés. En quittant ses fonctions à la tête de Québecor (2013), Pierre Karl Péladeau s'est par exemple félicité de la stratégie d'investissement mise en place par le géant tentaculaire au cours des 10 dernières années, une stratégie d'investissement concernant avant tout la téléphonie mobile, la modernisation du réseau de Vidéotron et le développement de nouveaux produits comme illico. Ainsi, l'investissement dans la technologie apparaît fondamental pour ces sociétés médiatiques, qui sur marché très concentré, se livrent une féroce concurrence.

Problématique :

En quoi l'émergence de « nouveaux » acteurs tel que Netflix et les stratégies d'acteurs « traditionnels » visant à répondre à cette nouvelle concurrence par le développement de nouveaux services, à l'instar d'Illico club chez Québecor, nous éclairent sur l'évolution des industries culturelles, les relations qu'entretiennent industries de contenu et industries de la communication et l'impact du développement des technologies de l'information de la communication contemporaines sur les industries de la culture ?

Objet et Méthodologie :

Dans la présente communication, nous comptons donc nous intéresser à l'émergence d'un acteur comme Netflix au sein des industries de la culture en étudiant le modèle d'affaires sur lequel s'appuie cette société. Nous porterons une attention particulière à la manière dont l'entreprise américaine peut participer au brouillage des frontières entre culture et communication précédemment évoqué.

Nous nous pencherons ensuite sur l'arrivée de Netflix au sein du marché québécois, ou la préservation d'une « exception culturelle » est un enjeu fondamental (Levesque et Lacroix, 1986). Nous reviendrons également sur les réactions des acteurs historiques dominant les industries de la culture et de la communication québécoises. Nous nous arrêterons particulièrement sur le cas d'Illico club dont le fonctionnement est identique à celui de Netflix mais qui cherche à se distinguer de ce dernier avec des contenus francophones et une « touche québécoise ».

À terme, l'objectif de cette communication est de réfléchir à la manière dont nous pouvons penser les phénomènes que nous venons d'évoquer au regard de la théorie des industries culturelles (Lacroix 1986, Mœglin 2012) tout en mettant en lumière certaines des dynamiques et logiques aujourd'hui à l'œuvre au sein de ces industries. Il s'agit notamment de comprendre comment ces phénomènes, prenant place dans un contexte particulier sur le plan technologique, mais également socio-économique, modifient la structure des relations entre création, production, diffusion/distribution et usage des biens culturels.

Pour traiter de ces questions, nous comptons nous appuyer sur un ensemble de recherches menées (réalisées et en cours) dans le cadre du Centre de recherche GRICIS et portant sur les industries de la culture et de la communication au Québec et les dynamiques qui les caractérisent (Deux programme de recherche : Concentration de la propriété des médias, changements technologiques et pluralisme de l'information ; la gouvernance des systèmes de communication)

Références théoriques :

Le cadre théorique mobilisé est celui des théories communicationnelles des industries culturelles. Nous projetons de nous inscrire dans le cadre de travaux menés par une série de chercheurs en économie politique de la communication qui ont tenté de théoriser, décrire, comprendre les industries culturelles et les dynamiques qui les caractérisent (Huet et al., 1984, Tremblay, 1990, 1997, Tremblay et Lacroix, 1991, Miège, 1996, 2000, 2005, Ménard, 2004, George, 2005, Bouquillion et Combès, 2007, Bouquillion, 2008).

Plan provisoire :

  • Quand les industries de la culture et de la communication québécoises riment avec concentration et convergence
  • L‘émergence de « nouveaux » acteurs
  • Une réelle contestation de l'oligopole ?
  • Quels enseignements pour penser les industries culturelles ?

Principales ressources bibliographiques :

Bouquillion Philippe (2008), Les industries de la culture et de la communication, Grenoble : Presses universitaires de Grenoble.

George Éric (2010), « Re-reading the Notion of “Convergence” in Light of Recent Changes to the Culture and Communication Industries in Canada », Canadian Journal of Communication, Vol 35, p.555-564.

Lacroix Jean-Guy (1986), « Pour une théorie des industries culturelles », Cahiers de recherche sociologique, vol. 4, n° 2, p.5-18.

Miège Bernard (2000), Les Industries du contenu face à l'ordre informationnel, Grenoble : PUG.

Tremblay Gaëtan (1997), « La théorie des industries culturelles face aux progrès de la numérisation et de la convergence », sciences de la société, n°40, p.11-23



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